Pourquoi un contrôle des armes à feu est difficilement envisageable aux États-Unis

Columbine, Virginia Tech, Newtown, Orlando, Las Vegas... À chaque nouvelle tuerie de masse, le débat sur le contrôle des armes à feu est relancé aux États-unis, notamment par le camp des Démocrates. Mais le mouvement contestataire se heurte à plusieurs obstacles d'ordre politiques, historiques et culturels. Pourquoi les armes sont-elles mises sur un piédestal ?

Un droit protégé par la Constitution 

La Constitution américaine est, selon ses propres termes, la "loi suprême du pays". Depuis sa mise en vigueur en 1789, cette ordonnance a approuvé 27 amendements. Les 10 premiers sont collectivement connus sous le nom de la "Déclaration des Droits". Et c'est justement vers le Deuxième amendement que tous les regards sont tournés. Celui-ci autorise chaque citoyen américain à détenir et à porter une arme : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé".

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Ce droit constitutionnel a été légitimé par la Cour suprême en juin 2008, en "invalidant l'interdiction des armes de poing en vigueur depuis 1976 dans la ville de Washington", comme le rappelle le journal Le Monde. Le Deuxième amendement semble être entouré d'une aura sacrée, si bien que les débats quant au contrôle du port d'armes demeurent, jusque-là, vains.

"Personne n'a jamais demandé l'abrogation du Deuxième amendement qui serait impossible, c'est pourquoi le débat n'a porté que sur l'interprétation du texte, explique Didier Combeau, spécialiste des États-Unis et auteur de l'ouvrage Des Américains et des armes à feu. Même s'il n'existait pas, le gouvernement fédéral ne pourrait pas facilement réglementer la détention et le port d'armes, car c'est une prérogative des États fédérés en raison du Dixième amendement. Il pourrait seulement réglementer le commerce (par exemples, l'interdiction de fabrication ou d'importation, contrôle des antécédents psychiatriques et judiciaires lors d'un achat), ce qui laisserait entier le problème des armes déjà en circulation". 

Un droit défendu par le lobby des armes 

Le droit de porter une arme est défendu par la National Riffle Association (NRA). Cette association pro-armement soutient les fabricants d'armes et promeut le libre commerce de celles-ci. La NRA comptait 5 millions d'adhérents en 2013 et ne cesse de séduire de nouveaux membres à travers le pays. Cet organisme, au comportement extrême, est réfractaire à toute forme de négociation et refuse toute communication avec les médias.

"La NRA a commencé à faire pression sur les mesures de contrôle des armes à feu au début des années 1930. Elle était novatrice pour l'époque, dans sa façon de mobiliser ses adhérents pour inonder de lettres les membres du Congrès", développe l'historienne Pamela Haag, auteure du livre The Gunning of America.

Le lobby pro-armes influence la sphère politique, en soutenant financièrement les campagnes des candidats favorables à ses idées. Cet élément explique donc l'absence de décisions des présidents quant à un éventuel contrôle de la vente d'armes dans le territoire. "Comme à l'école, elle attribue des notes de A à F à tous les candidats en se fondant sur leurs prises de position sur les armes. C'est redoutable car une minorité d'électeurs se décident sur ce seul critère, qui peut faire perdre une élection", met en garde Didier Combeau.

Un culte sacralisé par Hollywood 

Le cinéma hollywoodien influence indéniablement la société. Les exemples de films mettant en scène la violence et les armes ne manquent pas. "Hollywood est la capitale symbolique de la culture des armes à feu en Amérique. À travers d'innombrables émissions de télévision et de films, l'arme a atteint des pouvoirs mythiques en tant qu'agent de justice, de violence, de peur et de rédemption", confirme William Doyle, auteur d'American Gun : A History of the US in Ten Firearms.

Suite à la fusillade de Las Vegas, la plateforme de streaming Netflix et les studios Marvel ont suspendu la campagne de promotion de la série "The Punisher", la jugeant inappropriée. Frank Castle alias The Punisher (le Punisseur en français) incarne l’esprit de vengeance et de justice personnelle. Impitoyable, il préfère tuer ses adversaires plutôt que de les livrer à la justice.

Yelen Bonhomme-Allard

États-Unis : la lutte contre le lobby des armes ne connaît pas de répit

En mémoire de la tuerie de Newtown, des centaines de manifestants se retrouvent chaque mois, devant la National Rifle Association (NRA) à Fairfax, aux portes de Washington D.C. Tous s'opposent fermement au port d'armes dans le pays. Aujourd'hui, the Women's march s'est associé au mouvement.

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"Les vrais hommes n'ont pas besoin d'armes". Quatre ans et demi après sa première manifestation, Cécile Heatley est toujours présente. Quelques jours seulement après l'assassinat de 20 enfants à l'école primaire Sandy Hook dans le Connecticut, cette Française était l'une des premières à soulever les pancartes contre les armes. Depuis, tous les 14 du mois, en mémoire aux jeunes victimes, la septuagénaire occupe le terrain, devant le bâtiment de la National Rifle Association (NRA), le lobby pro-armes. "J'ai trois petits-enfants, confie-t-elle révoltée. Cela aurait pu leur arriver".

Une puissance qui gouverne le pays

Au cours de ces dernières années, la NRA, grâce des méthodes de lobbying fortes, a gagné en puissance et exerce aujourd'hui une influence très importante sur l'Amérique du Nord. Une emprise qui a particulièrement augmentée sous la présidence d'Obama. Ce dernier souhaitait limiter les ventes d'armes, via un contrôle systématique des acheteurs, ce qui a encouragé, malgré lui, les acquéreurs à passer à la caisse. Rien qu'en décembre 2015, la NRA est parvenue à vendre plus d'1,6 million d'armes aux États-Unis. Une première, depuis une vingtaine d'années.

En 2012, la plus grosse entreprise d'armes américaine, Smith et Wesson, a ainsi vu sa valeur en Bourse décupler depuis l'entrée de Barack Obama à la Maison-Blanche. Le pays compte désormais plus d'armes à feu que d'habitants. Leur nombre s'établirait à 357 millions, pour une population d'un peu moins de 320 millions.

Marche pacifiste contre la violence 

Touché par la cause, le mouvement Women's March a décidé de s'associer au rassemblement aujourd'hui. Les membres s'opposent notamment à la publication d'une vidéo sur le net par la NRA, ventant les mérites des armes à feu. Selon le collectif, le lobby ne cherche pas à défendre les minorités ou les populations marginalisées. En guise d'opposition, l'association a parcouru au pas, sous un soleil de plomb, les 28 kilomètres qui séparent la NRA du Département de justice à Washington D.C.

Cris de colère face à une situation bloquée 

C'est avec émotion que Brandon Wolf prend la parole, entouré par les deux cents manifestants. Âgé de 28 ans, cet habitant d'Orlando est l'un des survivants de la tuerie survenue il y a un an, dans une discothèque fréquentée par la communauté homosexuelle. Un an après l'horreur, le jeune homme ne parvient toujours pas à trouver le sommeil et angoisse dans les lieux bondés. Lors de la fusillade, il a vu ses deux meilleurs amis - Drew Leinonen (32 ans) et Juan Guerrero (22 ans) - tomber sous les balles. "Caché dans les toilettes, j'ai écouté tire après tire. Trente coups sont partis, treize ont touchés mes amis, confie-t-il la voix nouée de tristesse. Comment cela a-t-il pu arriver ?"

Aujourd'hui, la lecture de son discours, sous les fenêtres de la NRA, résonne comme un cri de révolte : "Je veux rendre justice à mes amis. J'en ai assez, assez du pays dans lequel nous vivons. Nous ne sommes pas vos cibles d'entraînement".

Des armes, oui, mais pour les bonnes personnes 

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Le port d'armes est légal dans l'État de Virginie.

En contre-bas de l'avenue, les membres de l'association Patriot Patrick, reconnaissables au logo sur leur t-shirt, observent avec détachement l'agitation voisine. L'entrée de la NRA, derrière laquelle ils se tiennent, marque une frontière physique entre leurs idées et celles des opposants aux armes à feu. Pistolet attaché à la ceinture et pancarte dans les mains, l'association des objets est déconcertante.

"Le problème n'est pas les armes, mais les personnes folles qui les possèdent, explique Tim Kingénieur mécanique pour le gouvernement. Dans cette crise complexe, les amalgames affectent tous les détenteurs d'armes, même les plus honnêtes". Originaire du Maryland, le quinquagénaire a acquis sa première arme en 2013, avant que l'Etat ne durcisse la loi quant au port d'armes, suite à la tuerie de Newtown. Aujourd'hui, il possède une douzaine d'engins, principalement destinés à la chasse et au stand de tir, mais aussi à la protection de sa famille : "Par exemple, si un jour ma maison est cambriolée, disons que je serai mieux préparé pour me défendre".

Fervent supporteur du Second Amendement, Tim K. ne partage pas pour autant les idées de la NRA mais assume totalement son attraction pour les armes. Une ambivalence qui le place au centre d'un conflit, pour l'instant sans issue.

Yelen BONHOMME-ALLARD avec Aliénor VINÇOTTE