États-Unis : le rêve des enfants migrants d'Amérique centrale

Des mineurs cherchent à tout prix à rentrer aux États-Unis par la frontière avec le Mexique. Ces jeunes marchent seuls sur des milliers de kilomètres, fuyant la violence et la pauvreté.

De nombreux adolescents d'Amérique centrale parcourent des centaines de kilomètres pour pouvoir traverser la frontière avec les États-Unis, en quête d'un avenir meilleur. Un adolescent de 15 ans vient du Honduras et continue son chemin sur la frontière entre le Guatemala et le Mexique. "Je n'ai pas d'argent, je n'ai mangé que des fruits depuis neuf jours", confie-t-il. Il a déjà traversé trois pays, laissant ses parents pour accomplir son rêve : aller à l'école aux États-Unis.

Un périple long pour fuir la pauvreté et la violence

Venus du Honduras, du Guatemala ou du Salvador, des milliers d'adolescents parcourent près de 5 000 kilomètres d'Amérique centrale vers la frontière américaine. Le fleuve qui sépare le Guatemala et le Mexique est un lieu de trafic. Des marchandises passent toute la journée sur des embarcations, tout comme les hommes, sous les yeux indifférents de la police. Une dizaine d'adolescents se trouvent dans un refuge pour migrants. L'un d'eux est parti du Salvador pour échapper aux gangs qui voulaient le recruter. Plus de 50 000 enfants non accompagnés sont arrêtés aux frontières américaines chaque année.

Reportage d'Agnès Vahramian, Thomas Donzel, Andreane Williams et Arielle Monange

Mexique : des migrants à bord du train de l'enfer

Nous avons embarqué à bord de la "bestia", un train de marchandises qui permet à des centaines de migrants de s'approcher de la frontière américaine dans des conditions extrêmement dangereuses.

Le train est surnommé "la bête". Au bout d'une gare de marchandises, le long des rails, des dizaines de personnes courent pour s'accrocher au wagon. Personne ne sait quand le train va redémarrer, il faut faire vite pour grimper et se passer les baluchons. Ce jour-là, une famille, trois enfants et un bébé. Dans les wagons se trouvent des rouleaux de ferraille, mais, trop de poussière, la famille renonce. Sans eux, mais avec beaucoup d'autres, le train démarre. Le train roule à pleine vitesse, tout déplacement est périlleux. Le voyage vers la frontière américaine durera environ vingt heures, la chaleur est accablante, le vent est sec et brûlant. Dans chaque village, des passagers montent en marche. Dans toute l'Amérique, le train est surnommé "la bête", bestia, en espagnol.

Une pratique tolérée au Mexique

Dans un passage que les migrants appellent "la jungle", il faut se coucher pour éviter les branches. La "bestia" a fait beaucoup de victimes, dont beaucoup d'amputés. Un homme embarque sur une jambe, il y a un an, le train l'a mutilé alors qu'il échappait à la police de l'immigration. Ce jour-là, les migrants ont eux-mêmes arrêté le train en détachant deux wagons. Certains voyagent depuis plusieurs mois depuis l'Amérique centrale. Le train traverse le Mexique du sud au nord. Tout le temps où nous serons sur la "bestia", nous n'avons vu aucun contrôle de police. Les migrants sont largement tolérés. La nuit tombe, le bruit des rails accompagne la fin du voyage. La frontière américaine est encore à quelques centaines de kilomètres.

Reportage d'Agnès Vahramian, Andreane Williams, Fabien Fougière, Arielle Monange

Une caravane de migrants à la frontière des États-Unis

Plusieurs centaines de migrants centraméricains sont arrivés ce week-end à Tijuana au Mexique, à la frontière avec les États-Unis. Leur entrée ou non sur le sol américain s’annonce comme un test inédit pour la politique anti-immigration du président Trump.

Au mois de mars, plus de 1200 migrants originaires d’Amérique centrale sont partis vers le nord depuis la frontière du Mexique avec le Guatemala. Ce weekend, au moins 150 d’entre eux (les organisations ont des difficultés à établir des chiffres précis) se sont rassemblés à Tijuana, près de la frontière américaine, afin de demander aux autorités américaines chargées de l'immigration.

Mario Quintanillo, 30 ans, et Cecilia Sarai Carillo, 23 ans, originaire du Salvador, étaient parmi les quatre couples qui se sont mariés à la plage de Tijuana dimanche matin, en compagnie de leur fille de 2 ans, Daryeline Ariana. Ils sont décidés à demander l'asile à la frontière américaine, mais sont conscients qu'ils risquent d’être séparés pendant le processus, peut-être pendant plusieurs mois. "J'y vais avec le sentiment que cela en vaudra la peine", a déclaré M. Quintanillo. "Au nom de Dieu, tout est possible".

"Nous ne sommes pas des terroristes"

L’ONG Peuple Sans Frontières, qui organise ce type de caravane depuis 2010, permet notamment aux migrants de rester groupés afin de se prémunir de tous les dangers qui jalonnent leur chemin, des cartels de drogue qui les kidnappent ou les tuent ou de certaines autorités publiques qui les rançonnent.

"Nous voulons dire au président des États-Unis que nous ne sommes pas des criminels, nous ne sommes pas des terroristes, qu'il nous donne la chance de vivre sans peur ", a déclaré l'une des organisatrices de la caravane, Irineo Mujica.

Heather Cronk, co-directrice de la campagne "Showing Up for Racial Justice", l'un des groupes de défense américains qui ont aidé la caravane et ses participants, s'est rendue à Tijuana pour soutenir les migrants dans cette dernière ligne droite. "Pour nous, tout cela concerne notre identité nationale", a-t-elle expliqué, soulignant que les États-Unis se sont construits par l’immigration et l’accueil.

Un enjeu politique pour Donald Trump

L’arrivée de cette caravane de migrants s’inscrit dans un contexte politique tendu pour Donald Trump, qui a fait de la lutte contre l’immigration massive un élément central de sa campagne électorale et de sa politique d’immigration depuis son entrée à la Maison blanche.

En effet, après plusieurs défaites lors d’élections intermédiaires à l’automne dernier où des candidats démocrates ont vaincu des élus républicains, le socle électoral de Donald Trump est fragilisé. Pour les cadres du parti républicain, dont la majorité au Congrès est fortement menacée, il s’agit désormais mobiliser la base du parti.

Le président américain cherche donc à garder l'immigration au cœur du débat des élections de mi-mandat de novembre prochain. Dans un tweet la semaine dernière, Donald Trump a d’ailleurs juré "de ne pas laisser ces grandes caravanes de personnes dans notre pays". Il est également revenu à plusieurs reprises sur les questions d'immigration lors d'un rassemblement dans le Michigan samedi soir. "Si nous n'obtenons pas de sécurité frontalière, nous ferons fermer le pays", a-t-il déclaré.

Pour avoir droit à l'asile, les demandeurs comme Mario et Cecilia devront faire face à une procédure complexe. Ils doivent notamment prouver qu'ils ont été persécutés ou craignent d'être persécutés en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe particulier.

Lundi soir, quatre enfants, trois femmes – les mères des enfants – et un jeune homme de 18 ans ont été autorisés à franchir la frontière et commencer les procédures de demande d’asile.

"D’un côté je suis très heureuse que cela commence enfin, que peut-être ils commenceront à nous faire entrer petit à petit", a déclaré Orfa Marin, une Hondurienne qui a pris la route avec ses trois enfants et son mari et qui espère pouvoir entrer aux États-Unis. "Mais de l’autre côté, nous devons attendre ici jusqu’à ce que ce soit notre tour. Cela pourra prendre des jours."

Jules Béraud

La fin du rêve américain

Mardi dernier, le gouvernement Trump a annoncé la fin du programme Daca, mis en place par Obama en 2012. Cette mesure permettait à des milliers de mineurs arrivés illégalement avec leurs parents sur le territoire américain, de vivre aux Etats-Unis sans risque d'expulsion.

Cette décision de l'administration Trump de fermer le programme Daca (Consideration of Deferred Action for Childhood Arrivals) menace l'avenir de quelques 800 000 jeunes, appelés Dreamers. Pour les prochains 6 mois, aucune nouvelle demande d'immigration de mineurs ne sera examinée par les services d'immigrations américains. Les Dreamers, eux, ne connaitront pas leur sort avant le 5 mars 2018, délai accordé par Donald Trump.

"Pour tous ceux (DACA) qui sont inquiets au sujet de leur condition pour les 6 mois à venir, vous n'avez pas de soucis à vous faire - Pas d'actions" a tweeté le président américain jeudi.

"Nous ne pouvons accepter tous ceux qui aimeraient venir ici, c’est aussi simple que cela. Les Dreamers prennent les emplois des Américains », a déclaré mardi Jeff Sessions, le ministre de la Justice, lors d’une conférence de presse. "Notre plus grande priorité est de réformer le système d’immigration, qui doit améliorer les emplois, les salaires et la sécurité des travailleurs américains et leurs familles" a-t-il ajouté.

Des appels au secours

Des grandes entreprises, telles que Microsoft ou Facebook, se sont liguées pour la défense du programme. Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, a publié un message sur le réseau social pour apporter son soutien aux Dreamers.

Mark Zuckerberg : "[...] Nous avons besoin d’un gouvernement qui protège les Dreamers. Aujourd’hui, je me joins aux leaders des entreprises de tout le pays pour appeler notre président à continuer d’appliquer le programme Daca."

De son côté, Barack Obama a également posté une tribune sur Facebook, dans laquelle il dénonce une "décision cruelle" contre la mesure qui a permis à des centaines de milliers de jeunes immigrés d'étudier et de travailler aux États-Unis.

Mercredi, le procureur général de l’État de Washington, Bob Ferguson, a annoncé dans une conférence de presse que 15 Etats américains – ainsi que la capitale fédérale de Washington –, porteront plainte contre Donald Trump. Il dénonce également une décision "cruelle et illégale". Parmi les États concernés, ceux du nord-est du pays (Connecticut, Massachussets et Pennsylvanie) mais aussi du sud (Virginie, Coroline du Nord) ou de l’ouest américain (Oregon, Hawaï). La Californie, qui compte le plus grand nombre de Dreamers, n’a pas porté plainte, mais son ministre de la Justice, Xavier Becerra, s’est dit « prêt à aller devant les tribunaux », pour les défendre.

La résistance s'organise 

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses associations se sont mobilisées après l'annonce de la fermeture du programme. Des manifestations ont été organisées à la Maison-Blanche, mais aussi devant l'hôtel international de Donald Trump à Washington.

https://twitter.com/healinghonestly/status/905560828136611841

À Chicago, le maire, Rahm Emmanuel, a pour sa part refusé tout simplement d’appliquer la décision du président américain. Lors d’un discours devant les Dreamers, il a annoncé sa décision de faire de sa ville une zone "anti-Trump" : "Vous êtes les bienvenus dans la ville de Chicago, a-t-il déclaré. C’est votre maison et vous n’avez rien à craindre. Et je veux que vous le sachiez, et que vos familles le sachent. Soyez sûrs que je veux que vous veniez à l’école… et que vous poursuiviez vos rêves"

Emmanuelle Rouillon