Dimanche 12 août, les contre-manifestants ont surpassé en nombre les militants d’extrême droite, réunis devant la Maison-Blanche. Photo : Hugues Garnier

Rassemblement à Washington : quatre questions sur la déroute de l’extrême droite

L’affrontement entre les suprémacistes blancs et les groupes antifascistes, que la ville de Washington redoutait depuis deux semaines, n’a pas eu lieu. Alors que 400 militants étaient attendus, dimanche dernier, au rassemblement d'extrême droite "Unite The Right", seulement une trentaine d’entre eux ont répondu présents. Le rassemblement, organisé à l’occasion du premier anniversaire de la manifestation de Charlottesville, a cependant attiré plusieurs centaines de contre-manifestants. Corentin Sellin, professeur agrégé d’histoire et spécialiste des États-Unis, nous explique les raisons de ce flop. 

Hier, seule une trentaine de manifestants de "Unite the Right" se sont réunis à Washington D.C. Est-ce que la mouvance néo-nazie est en perte de vitesse aux Etats-Unis ?

C.S. : Elle a subi un très gros choc après Charlottesville, un choc qui a pris plusieurs aspects. D’abord, dans l’opinion publique générale. Tout le thème de "Unite the Right" ’était de démontrer que l’Alt-right (NDLR : un mouvement d’extrême droite né sur les réseaux sociaux qui a soutenu Donald Trump lors de la campagne présidentielle) était totalement différente de l’extrême droite radicale et traditionnelle des États-Unis, très marquée par le suprémacisme blanc et le nazisme. Avec Charlottesville, on s’est aperçu qu’il s’agissait des mêmes personnes et que cela a abouti aux mêmes violences et aux mêmes outrances. Cela a été mal ressenti dans la mouvance qui s’est dévoilée au public.

Quid des conséquences judiciaires de Charlottesville ?

C.S. : Les organisateurs sont poursuivis en justice à la suite des blessures infligées lors des affrontements. Les organisations d’extrême droite radicale sont mises en cause pour avoir, par leurs mots haineux, incité à la violence. Ces procédure judiciaires, toujours en cours, nuisent à l’efficacité de ces groupuscules. Par ailleurs, il y a aussi eu des poursuites judiciaires à l’encontre de leaders comme le nationaliste Christopher Cantwell. Ils ont été mis sur le côté durant l’année, ce qui s’est ajouté au choc de Charlottesville. Enfin, beaucoup de groupuscules avaient également désavoué Jason Kessler, l’organisateur principal du rassemblement. Ils avaient explicitement appelé à ne pas venir à Washington tout simplement parce qu’ils savaient qu’ils allaient être mis en minorité. Et, c’est ce qui s’est passé. Toutes ces raisons expliquent l’échec d’hier. 

Le rassemblement "Unite the right" ne fait donc pas l'unanimité chez les militants d'extrême droite?

C.S. : Ce sont des personnes qui prospèrent sur un discours de haine. Mais ce discours de haine déborde entre eux. Il y a toujours eu une culture groupusculaire extrêmement forte qui remonte déjà à l’époque du Klu Klux Klan où il y avait des scissions et des affrontements extrêmement violents. Cette mise en cause de Jason Kessler a deux raisons : d’abord l’échec de Charlottesville qui été mal vécu et d’autre part, certains pensent que l’extrême droite ne doit pas s’unir. Ils sont en désaccord avec le mot d’ordre "Unite the right" (unir la droite). Certains suprémacistes blancs comme Richard Spencer veulent aller vers des États américains exclusivement blancs tandis que d’autres, par exemple, sont plus axés sur la lutte contre l’islam et la défense de l’identité nationale. Il y a tellement de cultures groupusculaires qu’une union est difficile. Chacun veut faire son extrême droite. 

Après les incidents de Charlottesville, Donald Trump avait condamné des violences venant des deux côtés. Est-ce que la position du président américain sur les suprémacistes blancs a évolué depuis l'an dernier?

C.S. : Absolument pas. Il tient à peu de choses près le même discours, si ce n’est qu’il l’a mieux enrobé. Dans un tweet de l’année dernière, il ne remet pas en cause les suprémacistes blancs comme le voudrait la tradition présidentielle. Donald Trump condamne le racisme mais ne les condamne pas explicitement. C’est sa fille, Ivanka, qui a exprimé clairement la condamnation des nazis et des suprémacistes blancs. Il y a cette répartition du "good cop bad cop" qui devient rituelle à la Maison-Blanche. Le président parle à son électorat populaire, veille à ne pas le fâcher sur le suprémacisme. Sa fille ou sa femme nuance le tableau et recherche davantage le consensus. En aucun cas, il a clairement remis en cause sur ses propos de l’année dernière. Il veut rester pur et insoupçonnable aux yeux d’une partie de son électorat populaire blanc et non être porteur de consensus.

H.G

Le retrait d'une statue controversée libère la parole suprémaciste

Depuis le début de l'été, Charlottesville dans l'État de Virginie est devenue le lieu de rassemblement des mouvements d'extrême-droite les plus radicaux. Ces derniers s'opposent au déboulonnement de la statue de Robert E. Lee située dans l'un des parcs de la ville. Pourquoi ce personnage historique, mort depuis 147 ans, fait-il encore tant polémique 

Depuis 1924, la statue équestre de Robert Edward Lee domine Emancipation Park, anciennement Lee Park, l'un des jardins publics de Charlottesville. Le général est représenté digne sur son cheval, avec un chapeau à la main et une barbe généreuse qui lui donne un air impérieux.

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Ce militaire (1807-1870) a dirigé les troupes confédérées des États esclavagistes durant la Guerre de Sécession de 1861 à 1865. Cette guerre civile a opposé les États-Unis d'Amérique "l'Union" (au nord), menés par Abraham Lincoln, aux États confédérés d'Amérique, "la Confédération" (au sud), dirigés par Jefferson Davis. Le pays était alors divisé en deux : les défenseurs des droits des Noirs au nord, face aux partisans de l'esclavagisme au sud. 

Lorsque les États esclavagistes sudistes ont déclaré la guerre en 1861, le général Lee est resté fidèle au président Abraham Lincoln. Mais à partir du moment où son État d’origine, la Virginie, a quitté l’Union, il a décidé de rejoindre à son tour les États confédérés.

Une icône historique controversée 

Robert Lee a longtemps été présenté comme un héros de guerre et un fervent opposant de l'esclavagisme. Selon The Atlantic, le général aurait écrit une lettre à son épouse en 1856 dans laquelle il confiait : "L'esclavage est un mal moral et politique". Mais cette version tronquée, souvent reprise par ses admirateurs, ne dévoile pas la fin du message.

La suite de cette missive explique au contraire les bienfaits de l'asservissement. "Les Noirs sont définitivement mieux ici [États-Unis] qu'en Afrique, moralement, socialement et physiquement, décrivait le militaire à sa femme. L'éprouvante discipline qu'on leur apprend est nécessaire pour leur éducation et leur race (...)". Robert Lee possédait d'ailleurs plusieurs domestiques sur sa propriété. 

Un modèle de la suprématie blanche 

En protestant contre le retrait de la statue à Charlottesville, l'extrême-droite tente de certifier la supériorité du peuple blanc, et exprime sa nostalgie quant au passé esclavagiste du pays. Cette reconnaissance de l'Histoire est d'ailleurs partagée à l'échelle nationale, dans la mesure où plusieurs établissements scolaires et places publiques portent le nom de Robert Lee. À la fin de la Guerre de Sécession et jusqu'à sa mort (de 1865 à 1870), l'ancien militaire a été le directeur de la Washington and Lee University, le campus artistique de Lexington en Virginie.

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La Nouvelle-Orléans a, quand à elle, décidé de prôner la tolérance ethnique et de tourner le dos à son héritage raciste. Le 19 mai 2015, quatre statues à l'effigie de personnalités controversées, dont celle de Robert Lee, ont été déboulonnées. Durant la manœuvre, les applaudissements approbateurs s'étaient alors heurtés aux marques hostiles des opposants.

Cette décision avait été prise après l'assassinat de neuf personnes noires dans une église de Caroline du Sud, à Charleston. L'auteur de cette tuerie, Dylann Roof, un jeune blanc de 21 ans, voulait déclencher "une guerre raciale". Il a été condamné à mort en janvier 2017.

Vers une montée du nationalisme blanc ?

Les manifestations des groupes radicaux reflètent le désir d'un retour vers cet héritage patriotique. Cette volonté s'est notamment affirmée à travers l'élection du président américain Donald Trump. "Il ne fait aucun doute que l'élection de 2016 a servi à bien des égards à une reconnaissance publique du nationalisme blanc américain marginalisé depuis les années 1960. Les défenseurs de la suprématie blanche ont toujours été présents aux États-Unis. Mais le sentiment est qu'ils ont maintenant une légitimité en tant que défenseurs de l'État américain blanc", explique David Billings auteur de l'ouvrage Deep Denial, The Persistence of White Supremacy in United States History and Life.

Yelen Bonhomme-Allard 

États-Unis : la lutte contre le lobby des armes ne connaît pas de répit

En mémoire de la tuerie de Newtown, des centaines de manifestants se retrouvent chaque mois, devant la National Rifle Association (NRA) à Fairfax, aux portes de Washington D.C. Tous s'opposent fermement au port d'armes dans le pays. Aujourd'hui, the Women's march s'est associé au mouvement.

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"Les vrais hommes n'ont pas besoin d'armes". Quatre ans et demi après sa première manifestation, Cécile Heatley est toujours présente. Quelques jours seulement après l'assassinat de 20 enfants à l'école primaire Sandy Hook dans le Connecticut, cette Française était l'une des premières à soulever les pancartes contre les armes. Depuis, tous les 14 du mois, en mémoire aux jeunes victimes, la septuagénaire occupe le terrain, devant le bâtiment de la National Rifle Association (NRA), le lobby pro-armes. "J'ai trois petits-enfants, confie-t-elle révoltée. Cela aurait pu leur arriver".

Une puissance qui gouverne le pays

Au cours de ces dernières années, la NRA, grâce des méthodes de lobbying fortes, a gagné en puissance et exerce aujourd'hui une influence très importante sur l'Amérique du Nord. Une emprise qui a particulièrement augmentée sous la présidence d'Obama. Ce dernier souhaitait limiter les ventes d'armes, via un contrôle systématique des acheteurs, ce qui a encouragé, malgré lui, les acquéreurs à passer à la caisse. Rien qu'en décembre 2015, la NRA est parvenue à vendre plus d'1,6 million d'armes aux États-Unis. Une première, depuis une vingtaine d'années.

En 2012, la plus grosse entreprise d'armes américaine, Smith et Wesson, a ainsi vu sa valeur en Bourse décupler depuis l'entrée de Barack Obama à la Maison-Blanche. Le pays compte désormais plus d'armes à feu que d'habitants. Leur nombre s'établirait à 357 millions, pour une population d'un peu moins de 320 millions.

Marche pacifiste contre la violence 

Touché par la cause, le mouvement Women's March a décidé de s'associer au rassemblement aujourd'hui. Les membres s'opposent notamment à la publication d'une vidéo sur le net par la NRA, ventant les mérites des armes à feu. Selon le collectif, le lobby ne cherche pas à défendre les minorités ou les populations marginalisées. En guise d'opposition, l'association a parcouru au pas, sous un soleil de plomb, les 28 kilomètres qui séparent la NRA du Département de justice à Washington D.C.

Cris de colère face à une situation bloquée 

C'est avec émotion que Brandon Wolf prend la parole, entouré par les deux cents manifestants. Âgé de 28 ans, cet habitant d'Orlando est l'un des survivants de la tuerie survenue il y a un an, dans une discothèque fréquentée par la communauté homosexuelle. Un an après l'horreur, le jeune homme ne parvient toujours pas à trouver le sommeil et angoisse dans les lieux bondés. Lors de la fusillade, il a vu ses deux meilleurs amis - Drew Leinonen (32 ans) et Juan Guerrero (22 ans) - tomber sous les balles. "Caché dans les toilettes, j'ai écouté tire après tire. Trente coups sont partis, treize ont touchés mes amis, confie-t-il la voix nouée de tristesse. Comment cela a-t-il pu arriver ?"

Aujourd'hui, la lecture de son discours, sous les fenêtres de la NRA, résonne comme un cri de révolte : "Je veux rendre justice à mes amis. J'en ai assez, assez du pays dans lequel nous vivons. Nous ne sommes pas vos cibles d'entraînement".

Des armes, oui, mais pour les bonnes personnes 

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Le port d'armes est légal dans l'État de Virginie.

En contre-bas de l'avenue, les membres de l'association Patriot Patrick, reconnaissables au logo sur leur t-shirt, observent avec détachement l'agitation voisine. L'entrée de la NRA, derrière laquelle ils se tiennent, marque une frontière physique entre leurs idées et celles des opposants aux armes à feu. Pistolet attaché à la ceinture et pancarte dans les mains, l'association des objets est déconcertante.

"Le problème n'est pas les armes, mais les personnes folles qui les possèdent, explique Tim Kingénieur mécanique pour le gouvernement. Dans cette crise complexe, les amalgames affectent tous les détenteurs d'armes, même les plus honnêtes". Originaire du Maryland, le quinquagénaire a acquis sa première arme en 2013, avant que l'Etat ne durcisse la loi quant au port d'armes, suite à la tuerie de Newtown. Aujourd'hui, il possède une douzaine d'engins, principalement destinés à la chasse et au stand de tir, mais aussi à la protection de sa famille : "Par exemple, si un jour ma maison est cambriolée, disons que je serai mieux préparé pour me défendre".

Fervent supporteur du Second Amendement, Tim K. ne partage pas pour autant les idées de la NRA mais assume totalement son attraction pour les armes. Une ambivalence qui le place au centre d'un conflit, pour l'instant sans issue.

Yelen BONHOMME-ALLARD avec Aliénor VINÇOTTE