Le week-end dernier, plus d'une centaine de sportifs américains se sont agenouillés durant l'hymne national pour protester contre les propos désobligeants de Donald Trump, à l'égard du quaterback Colin Kaepernick. La vison de ces athlètes, le genou fléchi, tranche avec la posture solennelle, adoptée par tous les citoyens américains lors de la diffusion de l'hymne.
La genèse de l'hymne américain
L'hymne national des États-Unis, nommé "Star Spangled Banner" (La Bannière étoilée en français), a été écrit par Francis Scott Key en 1814. Cet avocat et poète amateur a rédigé ce texte après avoir assisté au bombardement du fort McHenry à Baltimore (Maryland) par des navires britanniques, durant la guerre anglo-américaine de 1812. Le chant, composé de quatre strophes, rend hommage à la résistance héroïque de ceux qui ont défendu le fort et sont parvenus à faire flotter le drapeau américain à son sommet.
La mélodie qui accompagne ce poème était à l'origine destinée à une musique populaire baptisée "To Anacreon in Heaven". Reconnue par la marine américaine en 1889 et par la Maison-Blanche en 1916, la chanson a finalement été adoptée comme hymne national le 3 mars 1931.
"La première diffusion de l'hymne était lors d'un match de baseball en 1862 à Brooklyn, affirme l'écrivain Marc Ferris, auteur de l'ouvrage Star-Spangler Banner : The unlikely story of America's National Authem. Ce n'est sans doute pas sa première utilisation, mais c'est le plus ancien document archivé que nous possédons".
Une gestuelle institutionnalisée
Lorsque les premières notes de l'hymne raisonnent dans les stades, joueurs, entraineurs et spectateurs se lèvent d'un seul mouvement. Tous placent alors la main droite sur le cœur, le regard tourné vers le drapeau américain, pour entonner les premiers mots. Mais cette gestuelle, propre à l'hymne américain, a évolué au fil du temps.
En 1892, le pasteur Francis J. Bellamy instaura dans les écoles le "salut Bellamy" pour accompagner le Serment d'allégeance envers le drapeau des États-Unis. Durant l'hymne, les enfants levaient le bas au-dessus de la tête, en tendant la main vers l'avant. Mais durant les années 1930, les fascistes italiens, puis Hitler adoptèrent un salut similaire, créant une controverse sur l'usage du salut Bellamy au pays de l'Oncle Sam. Afin d'éviter toute association avec le parti nazi, le président Franklin Roosevelt remplaça ce geste par la main sur le cœur en 1942.
Inscription dans le Code du drapeau
Depuis son institution, cette posture patriotique est juridiquement encadrée. Selon l'article 36 du Code des Lois américain, "tout citoyen doit faire face au drapeau et se tenir debout, la main droite posée au niveau du cœur. S'il est vêtu d'un couvre-chef, il doit le placer au-dessus de l'épaule gauche, de sorte que sa main droite soit sur le cœur". Dans l'éventualité où le drapeau ne serait pas déployé, "tous les citoyens doivent faire face à la musique et agir de la même manière qu'ils le feraient en présence du drapeau".
Toutefois, si un individu refuse de se soumettre à cette tradition, il ne sera pas poursuivi pénalement. "Mettre la main sur le coeur fait partie du Code du drapeau des États-Unis, qui est une série de lignes directrices sur l'utilisation correcte du drapeau. Même si ce Code fait partie de la loi fédérale, il n'y a pas de pénalités pour les actions à son encontre" souligne Marc Leepson, historien et auteur de l'ouvrage What so proudly we hailed. Car selon la Cour suprême, une punition serait en contradiction avec le Premier amendement de la Constitution des États-Unis, qui défend le droit à la liberté d'expression.
Le genou à terre, une forme d'irrespect contre l'hymne américain ?
Depuis samedi dernier, cette cohésion patriotique est mise à mal dans le pays. Le monde du sport, généralement préservé des opinions politiques, s'oppose à celui de la politique. Pour comprendre, il faut remontrer au 22 septembre. Lors d'un déplacement en Alabama, Donald Trump a pris pour cible le quaterback Colin Kaepernick, sans équipe depuis l'expiration de son contrat. Ce dernier avait posé le genou au sol en 2016 pour protester contre les violences policières envers la communauté noire et les tensions raciales. Un geste symbolique qui avait divisé les États-Unis.
Au cours de son allocution publique, l'actuel président américain incitait la NFL (championnat de football américain) "à virer" les joueurs qui ne respectent pas l'hymne national, à l'instar de Colin Kaepernick, le qualifiant de "fils de pu**". En réaction à ces propos vulgaires, plus de 150 athlètes de la NFL se sont agenouillés, et se sont tenus par les bras durant l’hymne américain, au cours des quatorze matchs disputés dimanche 23 septembre. Certaines équipes ont même boycotté la minute patriotique en restant dans les vestiaires. Du jamais vu sur les terrains américains, si bien que la question se pose quant au manque de respect, ou non, des joueurs envers l'hymne et les valeurs qu'il défend.
"La principale interrogation est de savoir si c'est un manque de respect ou une question de liberté d'expression, questionne l'écrivain Marc Leepson. Cela peut être les deux. Leur geste se soumet à la condamnation de ceux qui estiment que c'est antipatriotique et irrespectueux dans ce pays. Pour autant, ces joueurs ne mettent pas en danger leur emploi, puisqu'ils évoluent à un niveau professionnel élevé". Un avis partagé par son confrère Marc Ferris : "L'hymne a toujours eu une dimension politique. Les joueurs tirent avantage de la publicité et de leur couverture médiatique pour prendre position dans le silence. C'est une opposition mesurée et pour moi, parfaitement acceptable".
Yelen Bonhomme-Allard