Depuis le début de l'été, Charlottesville dans l'État de Virginie est devenue le lieu de rassemblement des mouvements d'extrême-droite les plus radicaux. Ces derniers s'opposent au déboulonnement de la statue de Robert E. Lee située dans l'un des parcs de la ville. Pourquoi ce personnage historique, mort depuis 147 ans, fait-il encore tant polémique ?
Depuis 1924, la statue équestre de Robert Edward Lee domine Emancipation Park, anciennement Lee Park, l'un des jardins publics de Charlottesville. Le général est représenté digne sur son cheval, avec un chapeau à la main et une barbe généreuse qui lui donne un air impérieux.
Ce militaire (1807-1870) a dirigé les troupes confédérées des États esclavagistes durant la Guerre de Sécession de 1861 à 1865. Cette guerre civile a opposé les États-Unis d'Amérique "l'Union" (au nord), menés par Abraham Lincoln, aux États confédérés d'Amérique, "la Confédération" (au sud), dirigés par Jefferson Davis. Le pays était alors divisé en deux : les défenseurs des droits des Noirs au nord, face aux partisans de l'esclavagisme au sud.
Lorsque les États esclavagistes sudistes ont déclaré la guerre en 1861, le général Lee est resté fidèle au président Abraham Lincoln. Mais à partir du moment où son État d’origine, la Virginie, a quitté l’Union, il a décidé de rejoindre à son tour les États confédérés.
Une icône historique controversée
Robert Lee a longtemps été présenté comme un héros de guerre et un fervent opposant de l'esclavagisme. Selon The Atlantic, le général aurait écrit une lettre à son épouse en 1856 dans laquelle il confiait : "L'esclavage est un mal moral et politique". Mais cette version tronquée, souvent reprise par ses admirateurs, ne dévoile pas la fin du message.
La suite de cette missive explique au contraire les bienfaits de l'asservissement. "Les Noirs sont définitivement mieux ici [États-Unis] qu'en Afrique, moralement, socialement et physiquement, décrivait le militaire à sa femme. L'éprouvante discipline qu'on leur apprend est nécessaire pour leur éducation et leur race (...)". Robert Lee possédait d'ailleurs plusieurs domestiques sur sa propriété.
Un modèle de la suprématie blanche
En protestant contre le retrait de la statue à Charlottesville, l'extrême-droite tente de certifier la supériorité du peuple blanc, et exprime sa nostalgie quant au passé esclavagiste du pays. Cette reconnaissance de l'Histoire est d'ailleurs partagée à l'échelle nationale, dans la mesure où plusieurs établissements scolaires et places publiques portent le nom de Robert Lee. À la fin de la Guerre de Sécession et jusqu'à sa mort (de 1865 à 1870), l'ancien militaire a été le directeur de la Washington and Lee University, le campus artistique de Lexington en Virginie.
La Nouvelle-Orléans a, quand à elle, décidé de prôner la tolérance ethnique et de tourner le dos à son héritage raciste. Le 19 mai 2015, quatre statues à l'effigie de personnalités controversées, dont celle de Robert Lee, ont été déboulonnées. Durant la manœuvre, les applaudissements approbateurs s'étaient alors heurtés aux marques hostiles des opposants.
Cette décision avait été prise après l'assassinat de neuf personnes noires dans une église de Caroline du Sud, à Charleston. L'auteur de cette tuerie, Dylann Roof, un jeune blanc de 21 ans, voulait déclencher "une guerre raciale". Il a été condamné à mort en janvier 2017.
Vers une montée du nationalisme blanc ?
Les manifestations des groupes radicaux reflètent le désir d'un retour vers cet héritage patriotique. Cette volonté s'est notamment affirmée à travers l'élection du président américain Donald Trump. "Il ne fait aucun doute que l'élection de 2016 a servi à bien des égards à une reconnaissance publique du nationalisme blanc américain marginalisé depuis les années 1960. Les défenseurs de la suprématie blanche ont toujours été présents aux États-Unis. Mais le sentiment est qu'ils ont maintenant une légitimité en tant que défenseurs de l'État américain blanc", explique David Billings auteur de l'ouvrage Deep Denial, The Persistence of White Supremacy in United States History and Life.
Yelen Bonhomme-Allard