Dans une tribune parue mercredi dans le New York Times, un haut fonctionnaire de l'administration Trump décrit, sous couvert d'anonymat, un président instable et amoral. Et annonce "faire de la résistance". Explications avec Célia Belin, chercheuse invitée à Brookings Institution.
Pourquoi cette tribune est-elle exceptionnelle ?
C.B : L'auteur désavoue, de manière anonyme, la personne pour laquelle il choisit de continuer de travailler. En général, on le fait en démissionnant ou lorsqu'on est remercié.
Quelles sont les motivations de l'auteur ?
C.B : Il y a les motivations qu'il essaie de donner dans sa tribune : faire une résistance interne au président, auquel il ne fait pas confiance, et éviter le pire en contrôlant ses actions. Le problème, ce sont les motifs cachés d'une soi-disant résistance qui éprouve le besoin de devenir publique.
Quels seraient ces motifs cachés ?
C.B : L'explication la plus simple, hypothétique à ce stade, consiste à dire que cette personne a choisi de travailler pour Donald Trump, a constaté tous ces dysfonctionnements et se dit que plus tard, elle aura à en répondre. Elle écrit maintenant afin de protéger son avenir politique ou simplement sa crédibilité. Dans deux ou trois ans, elle pourra dire : "Vous voyez : j'ai travaillé de l'intérieur. C'est moi qui ai écrit cette tribune !" C'est un collaborateur qui se fait passer pour un résistant ou, en tout cas, qui pense qu'on peut collaborer et résister en même temps.
Cette démarche est donc discutable...
C.B : Elle pose des problèmes éthiques et démocratiques. C'est ce que le journaliste Bob Woodward [NDLR : auteur du livre Fear] appelle le "coup d'état administratif". Si tous ces gens sont persuadés qu'il y a un risque pour la nation, on se demande pourquoi ils n'en parlent pas publiquement. La seule explication serait de dire qu'ils n'obtiendraient pas d'auditions au Congrès car ce dernier protège le président.
Finalement, que penser de cette tribune ?
C.B : Je trouve qu'elle est relativement mesquine et pas particulièrement courageuse. Soit le président a été élu et doit être amené à gouverner car il n'y a pas de raison de lui mettre des bâtons dans les roues ; soit il fait des abus de pouvoir, a une maladie mentale ou je ne sais quelle autre raison qui pourrait l'empêcher d'être un bon président. A ce moment, il faut le dénoncer et utiliser le 25e amendement ou une procédure de destitution. Cet étalage public est une des marques du dysfonctionnement profond de la Maison-Blanche.
Donald Trump a accusé l'auteur de la tribune de "trahison". A quoi peut-on s'attendre dans les prochains jours ?
C.B: Le risque, c'est que Donald Trump se recentre encore plus sur un cercle de personnes loyales. Ce sera beaucoup plus dur de dire "Non, je ne suis pas d'accord M. le président." L'auteur a piégé tous ceux qui font partie de la "résistance".
Propos recueillis par C.L