Faut-il qualifier le groupe terroriste responsable des attaques de Paris du 13 novembre d' "Etat islamique" - un titre que revendiquent les djihadistes pour affirmer leur ambition de représenter tous les Musulmans au sein d'un Etat fonctionnel - ou "Daech" - la traduction en arabe de l'acronyme "Etat islamique d'Irak et du Levant" ?
Dans un discours prononcé en Turquie trois jours après les attaques qui ont fait 130 morts à Paris ce mois-ci, le président Obama a utilisé le terme d'ISIL ("Islamic State of Iraq and the Levant" - Etat islamique en Irak et au Levant), un nom abandonné par l'organisation terroriste en juin 2014 après sa progression en Irak. Le Levant est un terme géographique recouvrant une région du Moyen-Orient et qui inclut en général la Syrie, la Jordanie, Israël, le Liban et les territoires palestiniens.
Pour parler de l'organisation terroriste, les médias américains utilisent quant à eux souvent l'acronyme ISIS (Islamic State in Iraq and Syria - l'Etat islamique en Irak et en Syrie; ou the Islamic State of Iraq and al-Sham - l'Etat islamique d'Irak et d'Al-Sham, qui désigne notamment l'actuelle Syrie).
L'administration Obama utilise également le mot "Daech", comme le fait le président français François Hollande.
Le choix des mots est lourd de sens. L'année dernière, le ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius plaidait pour ne pas utiliser le terme d' "Etat islamique" car le groupe terroriste n'est, disait-il, pas un Etat. "Il voudrait l’être, il ne l’est pas. Et c’est lui faire un cadeau que de l’appeler 'Etat'." Il notait également que l'utilisation de l’expression Etat islamique "occasionne une confusion : islam/islamisme/musulman. Il s’agit de ce que les arabes appellent Daech et de ce que j’appelle pour ma part les égorgeurs de Daech" a-t-il ajouté.
Les médias américains eux-aussi choisissent leur vocabulaire avec précaution. La radio publique NPR a reçu des plaintes d'auditeurs qui réclamaient l'usage de "Daech". En général, NPR décrit le groupe djihadiste comme "une organisation qui se décrit comme l'Etat islamique" ou utilise le terme "ISIS" à l'antenne. Les mots "Etat islamique" sont la "traduction en anglais la plus claire et la plus courte du nom de l'organisation", justifie NPR. Par ailleurs, les Américains sont désormais accoutumés au terme "ISIS".
Le média américain NowThis News a tenté de récapituler les significations d' "ISIS" et de "Daech" ("Daesh" en anglais) dans une vidéo d'1 minute :
Traduction :
Est-il temps d'arrêter de les appeler "ISIS", et d'essayer de les appeler "Daech" ?
Mais pourquoi ? Tout est dans le jeu de mots. "Daech" est l'acronyme du nom d'ISIS en arabe (the Islamic State of Iraq and Al-Sham'). Mais [ce nom] a une sonorité proche de "dahes", une insulte qui fait référence à "ceux qui propagent la discorde" en arabe.
Et quand vous les appelez "Etat islamique", vous légitimez en quelque sorte à leur prétention à représenter un Etat-nation.
Utiliser le nom d'ISIS peut aussi suggérer qu'ils représentent la religion musulmane. Et c'est une idée à laquelle tentent de s'opposer les Musulmans du monde entier.
ISIS déteste tant le nom de Daech qu'ils ont menacé de couper la langue de ceux qui l'utilisent. Mais on devrait les nommer comme ce qu'ils sont, et non pas ce qu'ils veulent être.
Alors Daech/l'Etat islamique/ISIS/ISIL est-il un Etat ? Ou, comme l'a déclaré le président Obama le 16 novembre, n'est-il "qu'un réseau de tueurs qui brutalisent les populations locales" ?
Selon le sociologue allemand Max Weber, l'Etat possède par définition "le monopole de la violence légitime". L'Etat islamique possède indiscutablement le monopole de la violence sur les population des territoires dominés par l'organisation, dans l'est de la Syrie et l'ouest de Irak. Mais comme l'affirme Obama, cette violence n'est pas légitime si elle est imposée aux populations locales.
"On accorde du crédit au récit d'ISIL [l'État islamique en Irak et au Levant] lorsqu'on agit comme s'il s'agissait d'un Etat et que nous utilisons des tactiques militaires routinières, qui ont été pensées pour combattre un Etat qui attaque un autre Etat. Ce n'est pas ce dont il s'agit ici", a affirmé le président Obama. Le même jour, face au parlement réuni en Congrès, François Hollande déclarait que la France était "en guerre" contre Daech.
Si l'organisation djihadiste n'est pas reconnue comme un Etat par les présidents français et américain, l'EI dispose "d'une assise territoriale, de ressources financières et de capacités militaires" qui lui ont permis de commettre des "actes de guerre [le vendredi 13 novembre à Paris et près du Stade de France]", affirmait le président français à Versailles.