Quelle était la place de l’ukrainien dans les politiques linguistiques avant 1991 ?
Après la division de l’Ukraine en 1654 entre la Pologne et la Russie, la langue ukrainienne connaît un sort différent sur le territoire polonais (puis autro-hongrois) et sur le territoire russe. Sur ce dernier, une politique de russification massive est menée : la langue ukrainienne est interdite et son existence est reniée par le pouvoir. L’Ukraine austro-hongroise parvient tout de même à établir un certain nombre de canons littéraires qui permettent de développer la langue. La diffusion de l’ukrainien qui s’opère lors de la courte période d’indépendance entre 1917 et 1920 se poursuit au début de l’URSS, où la politique des nationalités permet une forte ukraïnisation. Cependant, en 1933, un ordre de Staline marque le début d’une intense politique de russification qualifiée par des linguistes ukrainiens de « génocide linguistique ». Dans les années 1950, le dégel de Brejnev concerne aussi la politique linguistique. En 1958, les parents peuvent choisir en quelle langue leurs enfants reçoivent leur enseignement. Par ailleurs, cette période est marquée par l’édition de nombreux dictionnaires de langue ukrainienne. Au début des années 1970, la langue ukrainienne est à nouveau réprimée et exclue des médias ou de l’éducation, l’usage de la langue ukrainienne considérée comme inférieure se limite généralement aux sphères familiales.
Pourquoi est-il difficile de distinguer les communautés russophones et ukrainophones ?
Comprendre comment se répartissent ces langues en Ukraine depuis l’indépendance n’est pas si simple car en réalité, la plupart des citoyens maîtrise les deux langues. Les communautés linguistiques sont d’autant moins distinctes qu’une langue populaire s’est développée : le Sourjyk. Ce dernier est le résultat de l’hybridation du russe et de l’ukrainien. Les statistiques sur l’usage de l’une ou l’autre de ces langues sont imprécises car en ukrainien l’expression « langue maternelle » est ambiguë et n’identifie pas tant la langue la mieux maîtrisée que l’appartenance à une communauté. Schématiquement, la pratique du russe persiste dans les régions de l'Est, proches de la Russie tandis que l'ukrainien est davantage utilisé dans les régions à l'Ouest du pays.
Comment l’usage de l’une ou l’autre de ces langues s’est-il politisé ces dernières années ?
La Constitution prévoit que la langue d’Etat est l’ukrainien. Cependant, dans un pays où les régions ont une grande autonomie, certaines d’entre elles comme Lougansk et Donetsk ont considéré dès 1994 le russe comme « deuxième langue d’Etat ».
Par ailleurs, une loi de 2012 avait permis à 13 régions sur 27 de devenir officiellement bilingue. Elle a été abrogée en 2014 le lendemain de la fuite du président Ianoukovitch. A l’Est et au Sud de l’Ukraine, les populations ont manifesté leur mécontentement ce qui a incité le président par intérim O. Tourtchynov à revenir à la loi de 2012. Cependant, la réaction de ces populations a donné à la Russie un prétexte pour défendre les habitants de l’Est de l’Ukraine et annexer la Crimée.
Depuis ce conflit avec la Russie, la langue est l'un des outils au service du nationalisme. En témoignent les cours d’ukrainien dispensés au sein des bataillons nationalistes ou la décision prise par des personnalités influentes de passer du russe à l’ukrainien. Par exemple, Pavel Kazarine, un animateur de télévision né en Crimée dont la langue maternelle est le russe a lancé en avril 2017, le « Challenge Kazarine ». Le concept ? Apprendre l’ukrainien en trois mois.
Au-delà de décisions individuelles, la politique linguistique pro-ukrainienne s’est intensifiée comme le montrent les lois sur les médias ou sur l’enseignement visant à faire reculer la pratique du russe. En septembre dernier, le scandale lié au refus de Miss Ukraine nouvellement élue de donner une interview en ukrainien révèle que l'enjeu de la langue est toujours très sensible.
Quelle langue est aujourd’hui parlée dans les rues de Kiev ? Réponse dans ce reportage.