Arménie-Turquie, une frontière impossible

La commémoration du centenaire du massacre des Arméniens qui vivaient en Turquie en 1915 et la polémique sur le qualificatif de «génocide» mettent en lumière les relations glaciales entre la Turquie et l'Arménie. Alban Mikoczy, le correspondant permanent de France 2 à Moscou, revient sur 100 années de relations inexistantes entre les deux pays.

Est-ce vrai qu'il s'agit de l'une des rares frontières totalement fermées dans le monde ?

Oui, les 268 kilomètres de frontière commune aux deux pays ne sont pas ouverts à la circulation. L'unique poste qui existait à l'époque de l'Union soviétique, tout près de la ville arménienne de Gymri, est désaffecté et la zone frontalière elle-même est une zone interdite sous contrôle encore aujourd'hui de l'armée russe. C'est elle qui protège officiellement l'intégrité du territoire arménien. Voilà pourquoi 2.000 militaires russes ont mandat pour patrouiller en Arménie et surveiller que le calme persiste.

Pour être juste, précisons que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, jamais les forces turques n'ont essayé de pénétrer le territoire arménien.

Mais il n'y a pas de relation diplomatique entre Erevan et Ankara ; pas d'action commune dans quelque secteur que ce soit et rien ne permet de croire que cette situation va évoluer à court terme. En Arménie comme en Turquie, les partis au pouvoir flattent volontiers la fibre nationaliste de leur population.

 

Ce qui frappe, cent ans après, c'est que la haine entre les deux pays est encore très forte...

Clairement, le ressentiment arménien envers la Turquie n'a jamais semblé aussi fort. Il faut savoir que les première revendications de la population arménienne sur la responsabilité des Turcs dans les massacres commencés en 1915 sont assez tardives.

La première manifestation d'importance date de 1966. Elle a conduit à l'érection sur les hauteurs d'Erevan du mémorial du Génocide. Un monument qui devait avoir des dimensions modestes et qui finalement mesure plus de 40 mètres de haut. En-dessous, douze stèles symbolisent les «douze provinces perdues d'Arménie occidentale» ; des provinces qui se trouvent toutes sur le territoire de l'actuelle Turquie.

 

En Arménie, chaque famille a une histoire personnelle douloureuse à raconter lorsqu'on évoque 1915. Tous les habitants actuels sont les descendants des survivants et ces histoires se sont transmises de génération en génération. Les Arméniens estiment à 1,5 million le nombre total de victimes, soit plus de 60% de la population arménienne de l'époque au sein de l'empire ottoman.

Toutefois, les trentenaires d'aujourd'hui forment la première catégorie d'âge à n'avoir pu connaître personnellement de survivants. Le souvenir qui se transmet est désormais moins précis. Certains le regrettent, d'autres s'en félicitent et estiment que l'Arménie doit désormais regarder vers le futur et non répéter sans cesse ses douleurs passées.

 

Et en turquie ? Dans ces villages de montagne où les exécutions ont été particulièrement sauvages entre 1915 et 1916?

En Turquie orientale, une région majoritairement kurde désormais, le souvenir et l'empreinte du passé arménien sont un sujet tabou. Il y a sans doute deux raisons principales :

-les Kurdes des montagnes sont souvent les descendants des supplétifs de l'armée ottomane de l'époque. Ils étaient nombreux parmi les bourreaux mais n'étaient pas les décideurs, juste des exécutants. Les Kurdes se sont ensuite installés dans les riches maisons arméniennes, notamment dans la région de Kars. Ils ne souhaitent pas qu'un examen de l'Histoire conduise à les montrer du doigt.

-Par ailleurs, les relations entre les Kurdes et le pouvoir central turc sont déjà assez compliquées comme cela. Cette communauté se bat avant tout pour la reconnaissance de son autonomie, voire de son indépendance. Les arrestations de militants politiques et les meurtres sont déjà assez nombreux. Ouvrir une querelle avec Ankara sur l'Histoire serait contre-productif, me disait un chef de village. Le même ajoutant plus tard, en ayant vérifié que la caméra était bien éteinte : «Bien sûr, nous savons beaucoup de choses de ce passé, nos grands-parents nous ont souvent dit avant de mourir quel avait été leur responsabilité dans le massacre des Arméniens.»

 Par Alban Mikoczy

Publié par Bureau Moscou / Catégories : Non classé