En Belgique, l’affaire gonfle depuis le mois d’octobre, ébouriffant au passage à la fois le gouvernement fédéral belge et le droit européen en matière d’asile. Un couple syrien et leurs deux enfants âgés de cinq et huit ans, actuellement à Alep, en pleine guerre, souhaitent demander l'asile en Belgique où une famille de Namur est prête à les accueillir. Mais le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Theo Francken (N-VA, droite nationaliste flamande) refuse d’octroyer un visa à cette famille et n’en démord pas, malgré de nombreuses protestations et suites judiciaires.
La cour d’appel de Bruxelles a en effet récemment condamné l’Etat belge à exécuter l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers datant du 20 octobre, réclamant la délivrance des visas ou d'un laissez-passer pour la famille, sous peine d’une amende de 4000 euros d’astreinte quotidienne.
Saga juridico-politique
L’affaire tourne maintenant à la saga politique. Malgré les critiques sur le non-respect de l’Etat de droit et la séparation des pouvoirs, le gouvernement fédéral conteste la décision de la cour et veut déployer tous les recours en juridiction possibles pour ne pas avoir à payer les astreintes. Le Premier ministre Charles Michel (Mouvement Réformateur, droite) veut afficher la cohésion de sa coalition (qui compte quatre partis) et défend la position de son secrétaire d'Etat. En marge du conseil européen du 15 novembre, il a affirmé être "convaincu que la position du gouvernement belge sera soutenu par les autres pays européens".
Car en accordant ce visa, le gouvernement craint de créer un précédent. Et il n'entend pas "ouvrir la porte à des visas humanitaires partout dans le monde, permettant l'introduction d'une demande d'asile en Belgique, même quand il n'y a pas de lien avec la Belgique". Le gouvernement a notamment fait appel devant le Conseil d’Etat pour annuler les astreintes et propose à la famille de solliciter un visa humanitaire libanais plutôt que belge, une solution désapprouvée par les avocats de la famille syrienne.
L’affaire devant la Cour de justice européenne
En attendant, l’affaire est portée devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par le Conseil du contentieux des étrangers sur un dossier similaire à celui de la famille syrienne. L'audience est prévue pour le 30 janvier 2017. Son avis pourrait faire jurisprudence.
« Il vaudra non pas seulement pour la Belgique mais pour l’ensemble de la zone Schengen », constate Philippe de Bruycker, professeur à l'Université libre de Bruxelles, spécialiste de l’immigration et de l’asile. « C’est la première fois que va être posée la question de l’absence de voies légales pour demander l’asile".
Pour introduire une demande d’asile en Europe, il n’est possible de le faire qu’une fois arrivé sur le territoire européen. Les moyens légaux d'accéder aux frontières européennes aujourd'hui sont soumis au flou du droit européen et les migrants doivent le plus souvent recourir à des passeurs illégaux.
Conséquence pour la zone Schengen
La CJUE, saisie dans le cadre d'une procédure d'urgence, ne rendra son avis que dans trois ou quatre mois. L'Etat belge sera ensuite libre de l'interpréter et d'accorder un visa à l'étranger. « Habituellement la Cour laisse une marge d’interprétation. Mais là, elle doit se prononcer en quelques mois sur une question préjudicielle alors que cela prend habituellement plusieurs années, et les juges détestent devoir se prononcer rapidement ! », commente Philippe de Bruycker.
« Le résultat juridique aura aussi des conséquences politiques », ajoute le juriste. La réforme du code des visas est discutée au Parlement et au Conseil européen depuis 2014 mais les Etats font obstacle à la refonte de cette législation. L'affaire des visas belge pourrait-t-elle faire avancer le débat ?
M. Berthomé & V. Lerouge