Alors que toute l’Europe voit la montée alarmante des partis d’extrême droite au fil des scrutins, la Belgique francophone fait figure d’exception. L’extrême droite y est insignifiante. Le contraste avec la Flandre est énorme où un parti raciste et xénophobe comme le Vlaams Belang est encore crédité de 12% dans les derniers sondages. En quoi la Wallonie, touchée de plein fouet par la crise économique depuis de longues années et minée par un taux de chômage avoisinant les 11,9%, est-elle différente de ses voisins ? Quelle est sa recette pour contrer les extrémistes ?
Pas de sentiment nationaliste fort
La Wallonie, contrairement à la France, ne dispose pas d’une identité nationale forte, une base préalable à l’extension et à l’établissement sur le long terme d’un parti d’extrême droite. « Pour qu’il y ait un parti d’extrême droit fort, il faut le rejet de l’autre et la valorisation des sens nationalistes, », analyse Pascal Delwit, politologue de l’ULB (Université Libre de Bruxelles). Dans le spectre de la Belgique francophone, la dimension nationaliste est absente. Les francophones eux-mêmes ne savent pas à quelle nation se référer. »
Pas de leader charismatique
Un autre facteur important est le manque criant de personnalité charismatique liée à la droite extrême. Il n’existe pas en Wallonie une Marine Le Pen, un Geert Wilders ou un Jörg Haider, capable de rassembler des foules entières. « Ce que l’on remarque c’est que les leaders des partis d’extrême droite en Wallonie étaient toujours faibles idéologiquement et politiquement. S’il n’existe pas de grandes figures, ce n’est pas sans raison», constate Pascal Delwit. « Si le Front National belge a réussi des beaux scores à certaines élections, il ne le doit qu’à son étiquette et au succès du Front National français. »
Cordon sanitaire et médiatique
Une particularité en Wallonie et Bruxelles : la parole n’est jamais donnée ouvertement au parti d’extrême droite. Les télés et radios francophones s’interdisent de lui donner la parole pour éviter de faire écho à ses propositions. Elles s’appuient sur un texte du Conseil Supérieur de l’audio-visuel francophone qui stipule « qu’il ne faut pas donner la parole à des représentants de partis liberticides ».
Dans le même temps, le monde politique s’est accordé pour appliquer le « cordon sanitaire », c’est-à-dire exclure les partis d’extrême droite du pouvoir. Comme la Belgique applique un système électoral proportionnel, ce cordon sanitaire est rendu possible grâce au jeu des alliances entre partis traditionnels. « Il est clair que ce cordon sanitaire et médiatique ont affaibli la visibilité de l’extrême droite », souligne Jean Faniel, le directeur du CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politiques). « L’absence de responsables politiques extrémistes dans les médias leur a évidemment été défavorable. Mais de nouveau, s’il possédait une personnalité charismatique, ce serait difficile de l’éviter », juge Pascal Delwit.
Tissu associatif et social encore bien présent
Un autre facteur est le rôle toujours important des acteurs sociaux dans chacune des villes en Wallonie et à Bruxelles. « Je prends l’exemple de Liège. Il y a quelques années, une librairie et un local d’extrême droite ont été créés. Immédiatement on a vu arriver des contre-manifestations assez soutenues », détaille Jean Faniel. Puis, il faut aussi rappeler qu’en Belgique francophone, il existe encore bel et bien une forte organisation politique et syndicale de gauche mais aussi un grand syndicat chrétien. « Grâce à ces structures socialistes et chrétiennes, les classes populaires sont moins abandonnées à leur sort. A priori, le Hainaut ressemble à la région Nord Pas de Calais. Mais dans cette contrée française, les syndicats et les organisations politiques de gauche ont quasiment disparu de la circulation », ajoute Pascal Delwit.
La Belgique francophone immunisée ?
La Belgique francophone serait-elle immunisée contre la montée de l’extrême droite ? « Non pas spécialement », tranche Jean Faniel. « Nous avons un terreau qui n’est pas négligeable et qui pourrait donner lieu un jour à une remontée de l’extrême droite. ». Un avis que partage Pascal Delwit mais il prend soin d’ajouter une nuance importante. « Qu’un parti d’extrême droite fasse un bon score dans une élection, c’est tout à fait possible. Cependant, je suis plus dubitatif sur la capacité de voir émerger une structure pérenne de vote pour un parti d’extrême droite. »
T.Lecloux et V.Lerouge