C’est une tribune de Karl Vanlouwe du 24 novembre, membre de la N-VA, parti flamand de droite conservatrice, qui va sans doute mettre le feu aux poudres. Dans ce brûlot, l’homme politique belge dénonce publiquement la gestion laxiste des « politiciens francophones » ayant conduit une politique d’ « islamo-socialisme » pendant des années. Depuis quelques jours et les derniers attentats dans la capitale française, la Belgique, et plus spécialement la commune de Molenbeek sont montrées du doigt. Les médias français et internationaux n’hésitent pas à employer les termes de « terreau » du djihadisme ou de « foyer des terroristes ». Et c’est tout particulièrement la gestion par les autorités belges des aspirants djihadistes ou des combattants de retour de Syrie qui est mise en cause. L’occasion de nous questionner sur un possible laxisme et des défaillances des autorités belges.
Il paraît assez simple de mettre en doute l’efficacité des services de renseignements belges depuis quelques années. Les exemples de terroristes passés par la Belgique sont nombreux, de Mohamed Merah à Amedy Coulibaly, en passant par Mehdi Nemmouche ou Ayoub el-Khazzani, l’auteur de l’attaque avortée du Thalys. Comment se fait-il que tous ces « combattants d’Allah » soient liés de près ou de loin au plat pays ? À l’heure actuelle, les capacités technologiques et scientifiques mises à disposition des experts de renseignement partout dans le Monde devraient être suffisamment développées pour, en principe, contrecarrer de tels plans. De l’avis de certains Belges, le problème pourrait trouver son origine dans la structure-même de l’État belge. Le pays est un État fédéral, composé d’entités fédérées, chaque niveau disposant d’un certain nombre de compétences. Et comme le pointent plusieurs journaux belges, cette multiplication et, de fait, les incertitudes des différents dirigeants quant à l’utilisation de ces compétences, entraînent un certain nombre de couacs. Et c’est ce dont pourraient profiter certains djihadistes pour fomenter leurs attentats sur le sol belge en toute tranquillité. Ceci ajouté à une menace peut-être sous-estimée et à un manque de coordination entre les différents services, on pourrait parler de défaillance des autorités belges.
Lorsque l'on interroge Joëlle Milquet, ministre de l'enseignement, et précédemment ministre de l'intérieur, voici sa réponse.
Mais le problème est multiforme et la responsabilité a sans doute diverses origines. On peut d’abord s’interroger sur une responsabilité nationale budgétaire. Comment blâmer des services de renseignements ou des autorités de surveillance lorsque peu de moyens sont affectés à la lutte antiterrorisme ? Après les attentats de Charlie Hebdo ou de l’Hyper Cacher, le manque de moyens des services de renseignements intérieurs et extérieurs français avait été pointé du doigt. Or, proportionnellement à la population nationale, la Belgique compte sensiblement le même nombre d’agents par habitant et cela s’avère insuffisant pour faire face au fléau du terrorisme. Un rapport du Comité P, chargé du contrôle de la police, expliquait dernièrement qu’une seule personne était en charge de la surveillance des courriers électroniques, à temps partiel. Lorsque l’on connaît les méthodes utilisées par les djihadistes aujourd’hui, ceci semble dérisoire. C’est sans doute la raison pour laquelle le gouvernement de Charles Michel a, entre autres, annoncé le 19 novembre un renforcement des moyens donnés aux services de renseignement.
Ensuite, on peut évoquer une responsabilité dans les politiques de la ville à un échelon davantage local. Il est indéniable que la politique d’intégration des personnes issues de l’immigration est mieux pensée en Belgique qu’en France. Il n’y a pas d’imposante « barre HLM », pas de banlieue délaissée. Ceci dit, des problèmes subsistent. Depuis les attentats, le bouc-émissaire de la N-VA, l’ancien bourgmesrtre de Molenbeek de 1992 à 2012, Philippe Moureaux, est à ce titre montré du doigt. Cet homme politique socialiste aurait laissé le salafisme, se développer et proliférer dans sa commune pendant des années, pour des raisons électoralistes et politiciennes. Un exemple frappant est la multiplication des mosquées officieuses, non reconnues par l’Exécutif des Musulmans de Belgique, dans des appartements ou autres lieux non-déclarés, et dans lesquelles le takfirisme, schisme du salafisme exhortant à la lutte armée contre les sociétés n’appliquant pas la charia, était enseigné. Des habitants de Molenbeek vont même jusqu’à dire qu’il est directement responsable de la montée du terrorisme dans le pays. Sans prendre une quelconque position, il est néanmoins possible de se poser la question de l’urbanisation dans la crise actuelle. Les cellules terroristes belges viennent de quartiers ou communes pauvres, quelque peu abandonnés par les politiques, et ce n’est certainement pas le fruit d’un hasard. D’où une autre forme de responsabilité politique qui peut être montrée.
Malgré tout, devons-nous mettre en cause la Belgique? Difficile de l’affirmer, tant la situation est complexe.Il semble extrêmement compliqué de pouvoir contrecarrer tous les projets d’attaques. Comme l’affirmait le 15 juillet 2015 Bernard Cazeneuve pour la France, les services de renseignements sont parvenus, au cours de l’année, à déjouer de nombreux projets d’attentats. Le Premier ministre belge Charles Michel déclarait quant à lui le 15 novembre à France 2 que ces derniers mois, il y avait eu près de 170 condamnations liées au terrorisme au plat pays. Mais, à l’heure où les djihadistes utilisent des moyens de communication extrêmement sophistiqués, sans doute des codes sur des supports assez surprenants tels que la Playstation ou Snapchat, ou à l’inverse des moyens très rudimentaires afin de ne pas se faire démasquer, il paraît impossible d’éviter 100% des attentats. Et que les autorités soient belges, françaises, allemandes ou anglaises, il est difficile de parler de laxisme.
Enfin, davantage de coopération des pays de l’Union européenne apparaît indispensable. Les terroristes utilisent tous les moyens européens, comme la libre-circulation des personnes, qui sont à notre disposition pour brouiller les pistes et semblent plus européens que nous le sommes. Il est donc nécessaire de développer une vraie politique commune de l’antiterrorisme et de donner aux services de renseignements les moyens de coopérer. Le Conseil de l’Union, « Justice et Affaires intérieures », s’est mis d’accord le 20 novembre sur l’établissement de fichiers « PNR » (Passenger Name Record) dans le cadre des vols intra-UE, ce qui permettra aux compagnies de conserver les données des voyageurs pendant un an. C’est peut-être un début de réponse à l’européanisation du terrorisme. Face à une menace globale, dénoncer le laxisme de tel ou tel pays est inapproprié. L’action doit au contraire être collective et coordonnée.
Lucas Tripoteau et Valéry Lerouge