Idée reçue n°16 : A Bruxelles, ce sont les lobbyistes qui décident

Un certain nombre de Français persiste à croire que « Bruxelles » est gouvernée par une armée de lobbyistes en costume cravates qui, cigare aux lèvres, s’empresseraient de convaincre les députés européens des méfaits que des nouvelles législations européennes causeraient à leur industrie, n’hésitant pas à les menacer de délocalisations s’ils n’obtempèrent pas. Est-ce là un pur fantasme ? Que sait-on exactement à ce sujet ?

 
On sait pour commencer que Bruxelles compte environ 15.000 lobbyistes, soit environ une demi Commission Européenne en termes d’effectifs. Un tel effort en termes de ressources humaines suggère d’ailleurs que l’industrie, elle, a compris que Bruxelles est un centre de décision et de pouvoir !
 
Leur rôle est en général double. D’un côté, les lobbyistes font en sorte que les entreprises pour lesquelles ils travaillent aient rapidement accès aux dernières informations publiques révélées, entre autres, dans les nombreux événements qui ont lieu à Bruxelles. Souvent c’est l’industrie elle-même qui organise des conférences, séminaires ou autres ateliers, afin de lancer des discussions et d’orienter le débat public dans la direction qu’elle préfère…Les lobbyistes remplissent donc en premier lieu des  fonctions d’information interne et de communication « soft ». Mais venons en tout de même à leur raison d’être première : influencer les législations en leur faveur. Les lobbyistes vont-ils jusqu’à tenter de déterminer le contenu des directives européennes comme on le prétend ?
 
Oui ! Le contenu d’un certain nombre de directives provient directement des lobbyistes puisque ces derniers vont même jusqu’à proposer des amendements aux députés européens (dans le format standard, qui reprend le papier à en-tête du Parlement Européen !). Ces derniers vont, dans certains cas, relayer leur proposition en commission parlementaire. Cette forme (peut être extrême voire dangereuse ?) renvoie à l’interdépendance croissante qui caractérise le travail législatif d’un député. En effet, comment imaginer qu’un député européen, quand bien même soutenu par ses assistants parlementaires, puisse connaître en quelques mois, l’éventail des enjeux et des parties prenantes d’un secteur industriel spécifique ?! Etant en manque de ressources, il semble donc logique que l’industrie, au même titre que les ONGs et les organisations de consommateurs, lui fournissent toute l’information et l’expertise dont il a besoin afin de l’éclairer dans son analyse.
 
Mais alors, qui décide ? Doit-on se faire du souci s’agissant de l’indépendance de nos députés européens ? On ne peut en réalité reprocher à un parlementaire de se tenir informer de l’avis des industriels mais aussi des membres de la société civile dans leur pluralité, qui seront directement touchés par la législation en phase d’adoption. Sauf que suite à cette phase d’écoute, c’est à l’homme politique d’évaluer la pertinence des analyses et des informations - nécessairement biaisées ! – qu’il recevra de toutes parts mais dont il a besoin ! En charge ensuite pour l’élu du peuple de trancher entre les intérêts particuliers. C’est lui qui a le dernier mot. Il existe enfin des « garde-fous » à l’influence du secteur privé sur le travail des institutions. Afin que sa loyauté ne puisse être remise en cause, un fonctionnaire européen ne peut par exemple pas accepter de cadeau externe au delà d’une valeur de 50 Euros.
 
Le problème ne semble donc pas concerner l’existence ni même la fonction des lobbies puisque ces derniers existent dans toutes les sphères du pouvoir (y compris à Paris !) et ont une certaine utilité. L’essentiel, c’est d’assurer que les conditions dans lesquelles les lobbies opèrent – c'est-à-dire la manière dont ils font pression – et les conditions d’accès aux députés européens soient transparentes. A ce titre, le Parlement Européen et la Commission Européenne ont donc adopté des registres qui permettent de référencer les lobbyistes actifs sur la place bruxelloise. Des cabinets de lobbying bruxellois, parmi les connus refusent de s’y inscrire.
Certains estiment donc que le Parlement Européen devrait aller plus loin et rendre ce registre obligatoire. Des députés européens, dont Alexander Stubb, à l’époque auteur d’un rapport sur le lobbying, venaient même jusqu’à proposer de publier la liste des lobbyistes ayant « contribué » à une directive, en annexe de chaque législation…
 
En un mot, s’il est vrai que « Bruxelles est plein de lobbyistes », ces derniers ne nous gouvernent pas et heureusement ! On peut même dire que le système bruxellois est beaucoup plus affiché (à défaut d’être réellement transparent) que le lobbying à Paris. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que se développe dans la capitale européenne, une nouvelle culture de la réglementation qui accorde de plus en plus d’importance au dialogue entre industrie et monde politique en amont de nouvelles législations. A chacun de juger si cette manière de légiférer est la meilleure …