Mais avant tout, quelle est la logique de cette politique publique européenne? Pourquoi une aide aux paysans plutôt qu’aux cordonniers ? Les justifications sont à la fois historiques et liées aux spécificités propres à l’agriculture. Historiques parce qu’au terme de la seconde guerre mondiale il fallait à la fois assurer l’alimentation des populations et préparer l’adaptation, la modernisation de l’agriculture européenne qu’allait de fait susciter l’intégration économique des marchés. Spécifiques parce qu’au contraire de la cordonnerie, les retombées de l’agriculture vont bien au-delà de la question de la production. En soutenant l’agriculture, on reconnaît ainsi son importance s’agissant de la gestion du paysage rural, de la préservation de l’environnement ou encore de ses implications pour le tourisme.
Idée reçue n°12 : Bruxelles veut la fin de l’agriculture française
Où est le problème alors? L’UE a-t-elle oublié tout ça ? Pas du tout ! Mais la PAC ne peut simplement plus fonctionner selon les règles des années soixante. Dans son ancienne logique, le système conditionnait en effet l´aide à la production (en clair « plus on produit, plus on reçoit de subventions ») mais était porteur de deux dysfonctionnements – pour ne pas dire injustices - majeurs. Il encourageait d’abord à la surproduction de denrées agricoles, l’argent public étant donc utilisé pour produire des biens que personne n’achetait! Bravo ! Pire encore, cette surproduction organisée contribuait ensuite à faire baisser les prix mondiaux des produits agricoles, et « tuait ainsi dans l’œuf » toute tentative d’exportation de produits agricoles de la part des pays en voie développement. C’est précisément ce cercle vicieux que la réforme de 2003 a tenté de casser, ce qui bien sûr n’était pas sans mécontenter ceux qui profitaient le plus de ce système, à savoir les grosses industries agricoles.
En « découplant » les subventions et la production cette réforme tente donc d’atténuer les effets « pervers » de la PAC en prenant en compte d´autres exigences. Cette réforme réaffirme ainsi l´importance de l´aide au développement rural par exemple. Mais un autre problème apparaît. Les aides étant aujourd’hui liées à la surface de terrain agricole, on constate en effet que les principaux bénéficiaires des « aides » communautaires sont en réalité de grands groupes industriels. A ce titre, il s’avère même qu’un certains nombres des têtes couronnées européennes touchent des sommes colossales. Ces réalité soulignent les incohérences actuelles : la majeure partie des fonds alloués profite encore et toujours à une minorité de gros/grands producteurs.
Prenons un exemple de cette réorientation : L´objectif de l´aide à ceux qui en ont le plus besoin n´est toujours pas rempli, d´où la volonté de Bruxelles (et pour une fois, il s’agit bel et bien de la Commission) de faire un bilan de santé de la PAC. En février dernier, M. Barnier n´a fait que mettre en œuvre une demande européenne : à partir de 2010, des fonds initialement prévus pour les céréaliers seront alloués aux éleveurs (650 m €), 940 m € sont prévus pour les élevages en zones herbagère et la part de l´aide au développement rural s´accroît (1 % par an jusqu´à 2013 en prenant en majorité l´argent sur l´aide au plus grandes exploitations). Espérons que cette fois ci l´objectif sera atteint.
Mais pourquoi de tels échecs ? D´où sont nés ces déséquilibres totalement injustes et à l’opposé du but initial de la PAC ? Tenter d’élucider ce point, c´est aussi essayer de comprendre les batailles agricoles actuelles et le débat autour de la PAC. Que ce soient les lobbyies ou les syndicats agricoles, ceux-ci représentent des intérêts très spécifiques, par exemple la cause des grands céréaliers. Et de fait, les intérêts des petits agriculteurs ne sont absolument pas défendus, ni sur la scène nationale et encore moins sur le plan européen. A la moindre réforme de la PAC, ce sont majoritairement les grands agriculteurs que l´on entend ! Ils sont mieux organisés et mieux représentés et ont de puissants relais dans les médias et les partis politiques.
Les responsables ? Nos hommes politiques pour avoir donné trop de « pouvoir » à cette corporation. Et l’Union Européenne parce qu’elle n’a pas été capable de comprendre à quel point les Français (entre autres) restaient profondément attachés à leurs agriculteurs et à leurs campagnes.