A en croire le nombre de titres de presse contenant des références à « Bruxelles », "Bruxelles décide que", "Bruxelles impose que", Bruxelles est partout et décide de tout. Réductrice, cette habitude des médias notamment, ne reflète pas la réalité (et la complexité) du fonctionnement de l'Union. Dans la perception des gens, "Bruxelles décide" est vaguement associée à l'Europe et donc à la Commission européenne. Or la Commission ne décide seule que de très peu de choses si ce n'est dans des domaines très particuliers comme la concurrence. Dans la grande majorité des cas, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne sont les co-législateurs européens. En d'autres termes, ils décident. Derrière le classique "Bruxelles décide", ce sont donc les ministres issus des 27 gouvernements des Etats membres et les députés européens, élus du peuple, qui s'accordent. Des hommes et des femmes politiques sont donc bel et bien les décideurs et non les "eurocrates" de la Commission européenne.
Si la simplification revêt un caractère pratique, elle ne permet sûrement pas de rapprocher les citoyens de l’Europe. A quoi bon s’intéresser à un système qu’on ne comprend pas et auquel on ne peut donc pas s’identifier ? Un sentiment de désintérêt, ou pire de méfiance, se crée alors avec «ces gens qui décident là haut à Bruxelles ». Cette situation est d'autant plus inquiétante que les sujets traités au niveau européen sont de plus en plus nombreux et ont de réelles implications dans notre vie quotidienne. Santé, protection du consommateur, environnement, réglementation des marchés financiers, téléphonie mobile ou encore, protections des libertés individuelles sont autant de sujets, pour ne citer qu'eux, où l'Europe intervient au service des citoyens.
Il suffit de se tourner du côté du Parlement Européen pour ce rendre compte que ce « Bruxelles » – qui décide, et cristallise les méfiances – connaît des débats d’une intensité similaire à celle de nos assemblées nationales. Dernier en date, l’adoption du paquet Telecom a donné lieu à des débats houleux dont l’un des amendements pourrait d’ailleurs rendre caduque, en cas d´adoption définitive, la loi Hadopi, pourtant adoptée hier en France. .. A croire que même nos députés nationaux ne savaient pas que ce dossier était en travail à Bruxelles ! Aille ! Même peu glorieux, ce dernier acte est la preuve que « Bruxelles », et en particulier le Parlement Européen devraient focaliser toutes les attentions.
Le paradoxe est saisissant : malgré l'importance des sujets traités au niveau européen, les citoyens ne voient pas la valeur ajoutée de l´Europe. Comment remédier à ce désamour pour l’Europe et ses débats ? Si les institutions européennes et les médias portent leur lot de responsabilité sur la question, il en revient surtout aux hommes et femmes politiques de prendre eux-mêmes leurs responsabilités. Qui d’autre devrait jouer le rôle de véritables relais des attentes et des demandes des citoyens, si ce n'est les hommes politiques? Les mauvaises langues diront à cet égard qu’il y parfois des malentendus supportables, voire confortables…Il semble en effet aujourd’hui pratique pour un ministre d’expliquer aux français qu’une décision vient de « Bruxelles » plutôt que d’expliquer publiquement les raisons qui l’ont amené à signé le texte au conseil des ministres (la directive Bolkestein, ou plus récemment le vin rosé coupé sont de bons exemples).
Mais il revient également aux députés européens de jouer ce rôle de trait d'union entre les citoyens et les politiques européennes (comme les députés français sont le lien entre les français et les politiques nationales). Ceci implique l'établissement d'une relation de confiance. Or c'est loin d'être le cas, le lien est rompu et beaucoup de députés européens ne rendent de compte à personne. A leur décharge, la taille des circonscriptions électorales européennes ne favorise pas ce lien de proximité. Un député européen représente en moyenne 627 000 citoyens soit presque 6 fois plus qu'un député français en moyenne[1]. Il est donc concevable qu'il ait plus de mal à rendre des comptes. Toujours est-il qu'il en va de sa responsabilité d'élu d'expliquer ses choix et d'organiser la transparence autour de ses prises de positions. A ce titre, le site www.votewatch.eu permet désormais d'avoir accès à de nombreuses informations sur chaque député, en particulier sur ses votes. Espérons qu’il va s’agir là d'un premier mouvement vers plus de transparence et surtout vers un rapprochement des députés européens de leurs concitoyens. Il serait temps.
[1] Ces chiffres proviennent de nos propres calculs: 492 millions d´Européens pour 786 député, 65 millions de français pour 577 députés soit en moyenne 627 000 citoyens pour un député européen et 113 000 pour un député français, soit 5,5 fois plus