En allemand, « guerre des nerfs » se dit « Nervenkrieg », et l’expression ne peut pas mieux définir la lutte qui oppose en ce moment Angela Merkel à son ministre de l’Intérieur Horst Seehofer. Le ministre de l’Intérieur avait lancé un ultimatum à sa chancelière, premier signe flagrant d’une crise profonde au sein du gouvernement: si l’Allemagne n’obtenait pas de ses partenaires européens des mesures très restrictives, le ministre imposerait par décret le refoulement à la frontière des migrants déjà enregistrés dans d’autres pays de l’UE. Angela Merkel privilège elle une solution européenne, elle ne veut pas de cavalier seul de l’Allemagne, et a depuis obtenu des avancées, avec un accord sur les migrants a minima mais inespéré lors des dernier conseil européen, et des accords bilatéraux avec 14 pays pour le retour des migrants déjà enregistrés. Mais cela n’est pas suffisant pour la CSU et son chef Seehofer. Le parti bavarois s’est réuni en conclave toute la journée d’hier et au bout de la nuit, le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’il démissionnerait « dans les trois jours » de son poste de ministre et de celui de président de parti, si un accord n’est pas trouvé avec la CDU de Merkel. Des discussions doivent s’ouvrir dans l’après-midi à Berlin entre les deux partis, mais la situation semble dans l’impasse la plus totale. Angela Merkel a bénéficié du soutien quasi-unanime de son parti, et si elle regarde les sondages, elle ne devrait pas changer de cap: 67% des Allemands considèrent la position de la CSU bavaroises comme irresponsable selon un sondage RTL… Hier, dans une interview télévisée, elle a reconnu que la « situation était sérieuse », et promis de « tout mettre en oeuvre » pour contenter à la fois la CDU et la CSU sur le sujet et « faire en sorte que nous puissions assumer nos responsabilités pour le pays ».
La grande coalition va-t-elle éclater ?
Une chancelière inflexible, des Bavarois qui le sont tout autant… Comment le gouvernement va-t-il pouvoir surmonter cette crise inédite ? Plusieurs scénarios s’esquissent. Le premier est celui du compromis entre la CSU et la CDU, mais il semble peu probable tant les Bavarois ont placé la barre haute (le fameux refoulement des migrants à la frontières dont Merkel ne veut entendre parler). Sans accord, le parti bavarois pourrait passer en force, Horst Seehofer prenant un décret pour mettre en place ces refoulements. Ce serait un affront pour la chancelière qui n’aurait d’autre choix que de limoger son ministre de l’Intérieur; provoquant le départ de la CSU de la coalition. Cette dernière pourrait survivre avec la SPD et la CDU, mais le gouvernement serait minoritaire, ce qui ne s’est jamais produit après-guerre en Allemagne. Les Verts pourraient aussi rejoindre l’alliance. Sinon, il n’y a qu’une option: la convocation de nouvelles élections.
Une « farce » ou… une crise « nécessaire »
Le dossier des migrants pourrait donc provoquer une crise majeure, mais est-ce vraiment cela le fond du problème ? Pour beaucoup d’observateurs, ce qui se joue en ce moment est un conflit plus profond entre les centristes et la droite modérée allemande, incarnée par Angela Merkel, et l’aile droite de la CDU-CSU. La question des réfugiés serait un prétexte: ces « durs » veulent d’abord se débarrasser de cette chancelière qui aurait renié les valeurs de la droite et laissé partir l’électorat conservateur vers l’AfD. Certains sociaux-démocrates n’hésitent pas à parler de « putsch de droite ». Mais peu de commentateurs croient au succès de l’entreprise. L’éditorialiste de l’ARD estime même que « la démission de Seehofer serait un soulagement. Peut-être que la CDU/CSU et le pays tout entier retrouveraient leurs esprits. La politique migratoire est importante, mais l’Allemagne a aussi d’autres problèmes à régler. ». Pour le Spiegel, « la menace de démission de Horst Seehofer est une farce: il n’obtiendra pas de concessions de Merkel. La CDU ne cèdera pas au chantage. Si le ministre de l’Intérieur reste en fonction, sa crédibilité s’effondrera ». Cette crise est « nécessaire », écrit de son côté la Bild. Le plus grand quotidien d’Allemagne juge en effet que toute cette « agitation n’est pas mauvaise, au contraire. C’est le carburant de la démocratie, les grandes questions sont tranchées dans la confrontation ». La Bild a clairement pris le parti du bavarois Seehofer depuis le début de cette crise, et en remet une couche ce matin: « sans la CSU, nous laisserions encore des déboutés du droit d’asile entrer en Allemagne, sans rien savoir à leur sujet, l’échec administratif et politique était de ce niveau là. Sans la CSU, nous ne débattrions pas sur l’un des sujets les plus importants du moment, et laisserions cela aux tentateurs de l’AfD. Le conflit sur nos frontières est important pour notre démocratie. L’Allemagne en ressortira plus forte ».
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