Solution pragmatique ou atteinte à l’image de la femme ? Après le voile, l’Allemagne débat sur le port du burkini en cours de natation.
Le problème n’est pas nouveau : trop souvent, les jeunes filles de familles musulmanes manquent en cours de natation parce que leur pratique religieuse - ou leurs parents - ne leur permet pas de se montrer en maillot de bain. Mais la solution, le maillot intégral ne dévoilant que le visage, les mains et les pieds, fait débat en Allemagne quand il s’agit de l’intégrer à l’école publique.
La question du port du burkini dans les piscines et sur les plages allemandes a jusqu'ici bien moins échauffé les esprits qu’en France. Le vêtement est autorisé dans la grande majorité des établissements outre-Rhin. Mais quand le pays a découvert récemment qu’un lycée de Rhénanie-du-Nord-Westphalie avait acheté 20 burkinis afin de les mettre à disposition des élèves musulmanes et de les “priver d’excuses” pour ne pas participer aux cours de natation, il y a eu de vives critiques.
"Image discriminante de la femme"
La présidence du Land et le parti gouvernemental CDU se sont publiquement opposés à la décision de l’école. Pour la vice-présidente de la CDU, Julia Klöckner, elle consolide une “image discriminante du rôle de la femme dans un lieu où les enfants et adolescents sont censés apprendre justement le contraire”. L’école devrait selon elle les “confirmer dans une compréhension saine des sexes et dans un sentiment d’égalité”.
La ministre de l’Éducation de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Yvonne Genauer, a de plus critiqué le fait que les burkinis soient achetés par le lycée. Une telle acquisition ne relève pas des “responsabilités fondamentales d’une école” selon la ministre, et devrait être financée par les familles concernées.
En effet, la scolarité obligatoire inclut aussi le cours de natation, et il n’y pas de droit légal à ce que les filles et les garçons soient séparés. La liberté de religion ne légitime pas l’absence de cours mixtes, a tranché de son côté le tribunal administratif fédéral en 2013 - tant qu’il est possible de se baigner en burkini.
"L'apprentissage d'une technique de survie est plus importante que des maillots"
La ministre allemande de la Famille, Franziska Giffey, a elle défendu le choix du lycée. Dans un entretien accordé au journal Zeit, l’élue sociale-démocrate estime que le burkini est un compromis “pragmatique” pour s’assurer “que tous les enfants participent au cours”: “Le plus important doit être le bien des enfants, et cela signifie que tous apprennent à nager. Pour moi, l’apprentissage d’une technique de survie est plus important que des maillots.” La ministre a appelé à ne pas dramatiser le sujet.
Le rôle clé des parents
Cette prise de position a suscité de vives réactions. Les conservateurs de la CDU et l'AfD rejettent le voile pour les jeunes filles de manière générale. Les Libéraux, les Verts et la gauche radicale trouvent que ce sont les parents qui doivent payer le burkini. Cette semaine, la ministre a dû préciser son propos dans un message publié sur Facebook : elle y souligne qu’elle “ne préconise pas le port du burkini en cours de natation” de manière générale, qu’elle ne le considère “pas peu problématique”. Elle avait seulement voulu s’exprimer “au sujet de la solution pragmatique de cette école” pour faire face aux parents qui “esquivent” la scolarité obligatoire de leurs filles par des fausses attestations médicales.
Dans certains Länder comme Berlin la question du burkini à l’école ne se pose même pas, car les cours de natation sont programmés jusqu’en CE2 seulement, c’est-à-dire avant la maturité sexuelle, quand les jeunes musulmanes ont encore le droit d’y participer en maillot classique. Dans d’autres établissements, certaines filles viennent avec leur propre burkini, quand d’autres viennent avec leur maillot une ou deux pièces. Mais, comme l’a rappelé la ministre, les cas où les parents prétendent que leurs enfants sont malades, plutôt que de leur acheter un burkini, persistent.
Jusqu'ici, l'Allemagne n'a pas trouvé de consensus sur la question de savoir quelle serait la plus grande atteinte à l’émancipation des filles : porter le maillot intégral à l’école publique ou ne pas apprendre à nager.
Par Anja Maiwald