Julianne Köpke est un miracle. En 1971 au Pérou, alors qu'elle avait 17 ans, cette Allemande a survécu à un crash d'avion. Les 90 autres passagers, dont sa propre mère (ses parents étaient biologistes dans une station perdue de la forêt équatoriale), ont été tués dans l'accident. Pourquoi s'en est-elle sortie, et pas les autres ? Comment a-t-elle pu réchapper à une chute libre de plus de 3000 mètres ? Comment a-t-elle survécu onze jours dans la forêt tropicale avant d'être secourue ? Nous avons rencontré Juliane Köpke à Munich, elle nous a raconté son destin hors du commun.
Et voici son témoignage, en intégralité:
"Peu avant le crash, on était très nerveux dans l'avion. J’ai pris la main de ma mère, lorsqu’un éclair a frappé l’aile gauche. J’ai alors été catapultée dehors, je ne sais pas comment ça s’est produit, mais j’étais dehors et tous les bruits avaient disparu.
J’ai senti que j’étais en chute libre, car j’ai entendu le bruit du vent dans mes oreilles. J’étais pleinement consciente, je réalisais ce qui se passait. Par intuition, je savais que j’étais seule sur ma banquette, j’étais accrochée avec ma ceinture, la tête en bas. C’était clair que c’était mon siège, j’ai senti la ceinture qui me serrait et c’était désagréable. J’ai vu la forêt tourner autour de moi comme une spirale, et je savais ce qui se passait : je suis en train de me crasher et je suis seule. Tout autour de moi avait disparu, et je me suis évanoui.
Quand j’y repense, le moment après le crash était bien plus fatiguant, c’était un plus grand défi, c’était plus dur. Le crash en soi était bien sûr une expérience terrible mais ce fut tellement court, quelques millièmes de secondes, je n’ai pas du tout eu le temps d’avoir peur.
C’est seulement le lendemain que j’ai repris conscience. J’ai vu la forêt autour de moi, la pluie tombait et j’étais trempée. La rangée de sièges était au dessus de moi. J’ai regardé autour de moi, et je me suis dit : « cette forêt, je la connais ».
J’avais un traumatisme crânien, je ne pouvais pas bien voir car mes yeux étaient complètement gonflés. J’ai réalisé que j’avais survécu à un crash aérien, et je n’osais pas me mettre debout, car je ne savais pas dans quel état j’étais réellement. Je n’ai rien senti, aucune douleur, je n’avais pas peur. J’ai commencé à bouger, rien ne me faisait mal et j’étais soulagé.
J’ai réfléchi et je me suis rendu compte que cette forêt ne m’était pas étrangère, la station de recherche où j’avais vécu avec mes parents pendant un an et demi était seulement à 50 kilomètres à vol d’oiseau. La forêt ressemblait à celle que je connaissais, j’ai reconnu des bruits familiers, les grenouilles, les oiseaux, j’ai tout reconnu et du coup je n’ai pas paniqué.
Au début j’ai cherché ma mère, mais il n’y avait personne. J’ai fortement ressenti cette solitude, qui s’est aggravée plus tard. Je savais qu’il fallait que je fasse quelque chose. J’ai avancé à quatre pattes, j’ai crié mais il n’y avait personne, c’était terrible.
J’avais perdu mes lunettes dans le crash et comme je suis très myope, je ne voyais pas très bien. En plus, mes yeux étaient complètement gonflés, je ne pouvais pas m’orienter. Et je savais par expérience qu’on peut se perdre facilement en forêt. C’est pour cela qu’au début je n’ai pas osé partir.
Peu après, j’ai entendu des avions passer au-dessus de moi. Ils devaient participer aux recherches. J’étais désespérée et furieuse car la forêt au-dessus de moi était complètement fermée, on ne pouvait rien voir.
Rester ou partir, je ne savais pas quoi faire... Et puis j’ai trouvé une petite source juste à côté. A ce moment je me suis rappelé ce que mon père me disait toujours : « si tu te perds en forêt, garde ton calme - facile à dire, plus difficile à faire - et si tu as la chance de trouver une source, suis le cours de l’eau, après tu auras peut-être la chance de trouver un plus grand ruisseau, puis une rivière, puis un fleuve, et de trouver des maisons ».
J’ai donc décidé de partir. Plus tard, on me l’a reproché, j’aurais du rester pour m’occuper des blessés, mais il n’y avait personne ! Pour moi, la décision était prise, je devais partir et chercher de l’aide.
Le fait d’être jeune et comme un enfant m’a sûrement beaucoup aidé, et pas seulement pour encaisser le choc et le traumatisme. J’avais aussi une certaine naïveté, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait.
Je me suis simplement dit : « il faut que je m’en sorte ». C’était une conviction. Mais quand je passais encore une journée à marcher et à nager sans trouver personne, c’était terrible. A la fin j’étais vraiment désespérée. Mais je me suis toujours dit que si je ne trouvais pas quelqu’un aujourd’hui, je trouverai le lendemain.
C’est très difficile de trouver à manger dans la forêt quand on n’a rien pour attraper les choses. Je savais comment faire du feu mais tout était humide car il pleuvait sans arrêt. Sur les lieux du crash, j’ai trouvé un sac de bonbons aux fruits. Je me suis dit « c’est bon, j’ai à manger », mais cela m’a permis de tenir quatre jours seulement. Après, je n’avais plus rien à manger, seulement de l’eau. J’en ai bu des litres, et le fait que l’eau soit tourbeuse m'a aidé, du coup je n’ai pas senti la faim.
Le soir du dixième jour, je suis tombé sur un bateau qui était accroché à la berge de la rivière. J’étais épuisée, je n’avais plus la force de prendre des décisions. Je voulais continuer à marcher mais je n’en pouvais plus, la nuit tombait. Là, il y avait une petite cabane, j’ai dormi dedans. Le lendemain, j’ai décidé de ne pas bouger et c’est ce qui m’a sauvé la vie, car le soir-même, des gens sont arrivés.
Je suis un miracle, un enfant du miracle. En tant que scientifique, je recherche toujours des explications. Je peux expliquer beaucoup de choses, mais pas tout. Mais cet enchainement de hasards qui a fait que l’on m’a retrouvée juste avant que je ne meure d’épuisement, ce sont des hasards, tellement de hasards, que cela devient difficile à croire. Pour moi c’est un miracle.
Pendant des années après le crash, j’ai fait des cauchemars. Ce sont des moments, des ambiances, des couleurs, des odeurs, quelque chose comme un coucher de soleil qui ravivent mes souvenirs et tout revient. Ça a duré très longtemps, des dizaines d’années. Les choses se sont lentement améliorées et aujourd’hui je ne fais plus de cauchemars. Mais je pense chaque jour à cette histoire, c’est quelque chose qui m’accompagne au quotidien.
Chaque survivant se pose cette question, pourquoi suis-je le seul à avoir survécu ?. C’est très difficile de faire avec ça, il y a toujours un sentiment de culpabilité, on ne peut pas le faire disparaitre.
Maintenant je prends souvent l’avion, je dois aller deux fois par an au Pérou, ce sont toujours des longs trajets, c’est toujours un défi mais ça va. Quand il n’y a pas trop de turbulences…"