L'inutile détention provisoire du couple Jacob.

34 ans après la mort de Gregory Villemin, deux membres de sa famille, M. et Mme Marcel et Jacqueline Jacob ont été placés en garde à vue, mis en examen des chefs de séquestration suivie de mort, placés en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention vendredi dernier, puis libérés et placés sous contrôle judiciaire par décision de ce jour de la chambre de l’instruction.

Stéphane Giuranna, l'avocat vosgien de Marcel Jacob, estime "totalement anormale" l'incarcération de son client. / © Alexandre Marchi/Maxppp

Me Stéphane Giuranna, avocat de M. Jacob.

 

Un placement en détention provisoire dans cette affaire, si longtemps après la commission des faits, pouvait-il raisonnablement répondre aux conditions légales imposées en la matière ?

Selon l’article 144 du code de procédure pénale, « La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique :

1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;

2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;

4° Protéger la personne mise en examen ;

5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;

6° Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ;

7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle ».

On imagine bien qu’en l’occurrence le 1° et le 6° soient sans objet compte tenu de l’ancienneté des faits, de l’absence d’autre meurtre perpétré depuis lors, du ratissage et de l’examen des indices matériels depuis des décennies.

De même, l’hypothèse évoquée au 5° concernant le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice paraît difficilement envisageable, compte tenu de l’âge des protagonistes, de leur implantation personnelle et matérielle sur leur lieu de résidence et de l’absence de tentative de fuite depuis le décès de l’enfant.

Enfin, le trouble à l’ordre public ne me semble pas pouvoir être utilisé de façon pertinente : si le décès de Grégory Villemin a bien évidemment marqué la France de façon durable, le trouble à l’ordre public s’est à mon sens largement atténué avec le temps – même si les passions demeurent vives autour de ce crime non résolu, si l’on s’en réfère à l’agitation médiatique qui accompagne chaque nouvel épisode de cette instruction au (très) long cours.

Les autres critères posés par ce texte peuvent toutefois dans l’absolu être retenus, nonobstant les 34 ans d’enquête.

Il est en effet concevable, même après une si longue période, que les personnes mises en examen tentent de contacter des témoins pour qu’ils modifient leurs déclarations ou de se mettre d’accord entre elles quant aux réponses à apporter aux magistrats (même si l’on constate en pratique que l’incarcération n’est pas nécessairement un frein à la communication entre les personnes mises en cause).

La protection de la personne mise en examen pourrait encore être un critère envisageable dans un dossier où une personne mise en examen (ou plutôt inculpée, selon la terminologie de l’époque) a été abattue, quelques jours après la fin de son incarcération, par le père de la victime.

Telle n’a cependant pas été l’appréciation de la chambre de l’instruction, qui a eu accès aux (misère) 12000 cotes du dossier pour se prononcer. Et comme on juge toujours mieux à trois qu’à un, considérons qu’elle a eu raison.

Tiens, la collégialité des juges des libertés et de la détention, voilà une réforme intéressante et pertinente à proposer. Parce que pour m’en référer à ma petite expérience, si mettre en examen se révèle rarement problématique à mes yeux, se prononcer sur la nécessité de priver un présumé innocent de sa liberté m’est largement plus difficile. Mais (spoiler alert) elle ne sera vraisemblablement jamais imaginée au regard des moyens humains et financiers qu’elle nécessiterait. Tant pis.