1968 - 2018 : cinquante ans après la mort de Martin Luther King Jr., quel bilan?

Cinquante ans après la mort de Martin Luther King Jr., le rêve du pasteur de Montgomery n’est pas devenu réalité. Malgré de nombreuses avancées, les inégalités entre les communautés noires et blanches persistent. Aux États-Unis, nombreux sont ceux qui continuent de rêver d’égalité sociale.

"Je fais un rêve dans lequel trop c'est trop. Il ne devrait pas y avoir d'armes dans ce monde", a affirmé la petite fille de Martin Luther King, Yolanda Renee, âgée de neuf ans, devant plus de 200 000 personnes à l’occasion de la March for Our Lives pour le contrôle des armes à feu de Washington, le 24 mars dernier.

Cinquante ans après sa mort, le combat de Martin Luther King pour les droits civiques et la justice sociale continue ainsi d’alimenter le débat public américain, comme peut également l’illustrer le mouvement Black Lives Matter contre la violence et le racisme systémique envers la communauté noire.

" Si sa vie n'avait pas été prise, King aurait aujourd'hui défilé en criant Black Lives Matter pour une loi fédérale obligeant la police à rendre des comptes pour avoir tué des gens innocents non armés à cause de préjugés raciaux", écrit Andre Perry, chercheur à la Brookings Institution sur le blog du think tank.

Qu’en est-il réellement aujourd’hui ?

L’élection de Barack Obama, en 2008, a pu être interprétée comme l’aboutissement du combat de Martin Luther King. Pourtant la réalité est plus nuancée. Certains activistes afro-américains dénoncent en effet le fossé qui s’est creusé depuis les années 1960 entre la bourgeoisie et la communauté ouvrière noires. A Chicago, la construction de la bibliothèque présidentielle de Barack Obama dans son ancien quartier est dénoncée par une partie de la communauté noire, qui craint la gentrification du quartier avec l’aménagement de plusieurs infrastructures culturelles et hôtelières haut de gamme autour de l’établissement présidentiel.

Le rêve du pasteur noir a laissé de côté les classes populaires noires, les huit années de présidence de Barack Obama n’ayant pas mis fin aux inégalités. "Il y a deux rêves, corrige le révérend Finley Campbell, à la tête de la lutte contre le projet. Le rêve pour les élites et la bourgeoisie noires : de ce ­côté-là, c’est un triomphe. Mais pour la classe ouvrière, ça n’a pas fonctionné."

En effet, aux États-Unis, les inégalités raciales persistent, "surtout quand on regarde la pauvreté noire, le taux d'incarcération des Noirs et la question de la brutalité policière", a déclaré Jason Sokol, professeur d'histoire à l'Université du New Hampshire.

En 2016, par exemple, le ménage noir médian a gagné 39 490 $ alors que le ménage blanc médian a gagné 65,041 $ soit un écart de 39%.

Fin 2017, 7% de la communauté noire en âge de travailler est au chômage alors que moins de 3,5% des personnes blanches en âge de travailler le sont.

Quant au taux d’incarcération, 33% des détenus américains appartiennent à la communauté noire alors que celle-ci ne représente que 12% de la population totale d’adultes américains.

"Bien qu'il y ait certainement eu des changements dans les attitudes racistes des individus, le racisme qui est ancré dans les institutions et dans les structures aux États-Unis n'a pas beaucoup changé", a affirmé Henry Louis Taylor, de l’Université de Buffalo.

Où en est l’héritage de Martin Luther King Jr. ?

Lorsqu’il a été assassiné à l'âge de 39 ans sur le balcon d'un motel de Memphis, dans le Tennessee, le 4 avril 1968, Martin Luther King était un homme controversé et clivant, contrairement à la figure emblématique célébrée aujourd'hui avec une journée nationale et un mémorial monumental à Washington.

"Il est facile pour les Américains d'oublier à quel point King était réellement polarisant dans les années 1960", a déclaré David Farber, professeur d'histoire à l'Université du Kansas. "Il était devenu une figure radicale aux Etats-Unis, un opposant franc à la politique étrangère américaine, exigeant que la justice ne s'étende pas seulement aux Afro-Américains mais à tous les Américains pauvres".

Interrogés par NBC à l’occasion du cinquantenaire de sa disparition, plusieurs personnalités publiques afro-américaines sont revenues sur l’héritage de Martin Luther King et ont réfléchi aux progrès à accomplir pour réaliser le rêve de justice et d'égalité de tous les Américains.

"Les Américains peuvent honorer l'héritage du Dr. King en se regardant honnêtement dans le miroir de ce que nous pouvons tous faire pour ne pas donner au racisme et à la bigoterie l'occasion de prendre pied sur nos institutions", a ainsi déclaré Kareem Abdul-Jabbar, six fois champion de la NBA

Plein d’espoir, Colin Powell, premier homme noir à devenir Secrétaire d'État regarde vers l’avenir : "J'espère que dans 50 ans, nous serons tous à nouveau un peuple, une nation."

Jules Béraud

De la ségrégation raciale à la mixité démographique, dans les rues de Washington D.C

Depuis les années 50, certains quartiers de Washington D.C subissent une transformation urbaine et démographique. La rue U, située dans le nord-ouest de la capitale, en est un exemple. 

Dans les années 1950, la ségrégation sévissait dans le pays, séparant les communautés blanche et noire. La capitale américaine était organisée de sorte que les Noirs habitaient en banlieue, notamment dans le nord-est de Washington D.C. U street était l'un des quartiers emblématiques de la communauté afro-américaine. Aujourd'hui, cette rue connaît une hétérogénéité démographique.

Un quartier mondain pour la communauté noire  

La famille Lee en est un des visages. Depuis 1945, quatre générations se sont succédées dans l'unique boutique de fleurs de la rue. Elle a connu les grands moments de l'Histoire pour l'égalité des droits des personnes noires, depuis la fin de la ségrégation en 1964 à l'élection du premier président noir des États-Unis en 2009, en passant par l'assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968.

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De gauche à droite : Kristie Lee, Chase Tyler, le neveu, et Stacie Lee Banks. Les deux soeurs sont les propriétaires du Lee's FlowerShop depuis 2012

"U street était une frontière. Les personnes noires n'avaient pas le droit de se rendre en centre-ville, habité par les Blancs, raconte Stacie Lee, 54 ans, petite-fille du premier propriétaire de la boutique 'Flower Shop'. Dans les années 1950, il y avait une sorte d'effervescence qui animait le quartier, où la classe moyenne fréquentait les restaurants, les clubs de jazz et les trois cinémas du quartier." U street était alors surnommé le Black Broadway.

En 1945, ses grands-parents, William P. Lee et Winnifred Lee, achètent le bâtiment où ils y établissent leur boutique de fleurs. Leur affaire prospère jusqu'en avril 1968, date de l'assassinat de Martin Luther King. Durant trois nuits, plusieurs magasins sont brûlés suite aux affrontements entre des policiers blancs et les activistes des droits des Noirs. "On a dû mettre un panneau sur la porte pour dire que c'était un magasin tenu par des Noirs...", se souvient Stacie, alors âgée de 5 ans. Après cet épisode, les activités commerciales de la rue ont été abandonnées sous les cendres.

1968, l'année du basculement 

À partir de cette date, les classes moyennes et riches s'exilent, laissant le quartier entre les mains des vendeurs de drogue et des prostituées. Jusqu'à la fin des années 1980, la violence règne sur le quartier, faisant de Washington D.C l'une des villes les plus dangereuses du pays.

Seuls trois établissements ont survécu au déclin : l'Industrial Bank, la banque de la communauté noire, installée en 1938, le Lee's FlowerShop et le Ben's Chili Bowl crée en 1958. Ce célèbre restaurant de hot-dogs, reconnaissable à sa devanture jaune, est un lieu prisé par les personnalités de la communauté afro-américaine. De Martin Luther King à Barack Obama en passant par Usher, ils ont tous goûté au fameux hot-dog à la sauce piquante.

Extérieur du Ben's Chili Bowl sur U street

Extérieur du Ben's Chili Bowl sur U street

Virginia Ali est propriétaire du restaurant avec son mari (décédé en 2009) depuis sa création en 1958. Aujourd'hui âgée de 83 ans, elle raconte avec précision la fin de la ségrégation et le début de l'intégration des Noirs dans la société américaine. Un souvenir en particulier lui revient en mémoire : "Pendant les trois jours d'altercations entre les autorités et le peuple noir, nous étions le seul restaurant à rester ouvert jusqu'à 3 heures du matin, malgré le couvre-feu imposé (de 21h à 7h du matin). À l'époque, nous étions déjà très populaires."

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A droite, Virginia Ali, propriétaire du Ben's Chili Bowl depuis 1958

La période des années 1968 à 1988 ont été particulièrement difficiles pour le restaurant. La population du quartier ayant changée, les clients respectables ont laissé place aux délinquants. "Après la mort de Martin Luther King, le quartier est devenu un ghetto, un couloir pour la drogue. C'était très effrayant", décrit-elle.

L'arrivée du métro, un nouveau souffle pour le quartier

Stacie est formelle, ce qui a sauvé le voisinage c'est l'arrivée du transport en commun souterrain : "Avec l'installation du métro, les prix immobiliers se sont envolés, de nouvelles personnes issues de diverses communautés culturelles sont arrivées." Une information confirmée par Virginia : "En 1958, on ne voyait pas d'étrangers ici." Les nouveaux habitants ont permis une re-dynamisation des rues autour du U street en lançant de nouveaux commerces.

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Julian Everett, coiffeur-barbier pour hommes de la rue U street

Quelques mètres plus loin sur le même trottoir, Julian Everett est l'un de ces nouveaux visages. Il a ouvert son commerce en tant que coiffeur-barbier pour hommes, il y a un an. Lui-même remarque un changement démographique, encore perceptible aujourd'hui. "De plus de plus de personnes aisées, de tous horizons, investissent dans le quartier, ce qui est bon pour mon business. Je voulais, moi aussi, faire partie de cette nouvelle croissance économique."

Yelen Bonhomme-Allard & Aliénor Vinçotte