A la Fondation Vuitton le professeur Capuçon donne une master class bienveillante mais ferme!

Les jeunes Zirbo, Balanas, Parent, Szabo, Bacelar, Crozman et Kim entourant Gautier Capuçon C) Fondation Louis-Vuitton/Martin Argyroglo

A la fondation Louis-Vuitton, l'autre jour, la dernière master class de l'année pour Gautier Capuçon, violoncelliste de son état, à peine plus âgé que ses élèves. Et le soir un concert à sept archets, pour saluer et dire adieu à des mois de partage.

NE PAS IMPOSER SES IDEES

Ce ne sont plus les têtes que mon camarade Lorenzo Ciavarini Azzi avait rencontrées l'an dernier. Mais le professeur est le même, comme sa méthode: "On commence à bien se connaître" me dit-il, amusé et philosophe. Pas question d'imposer ses propres idées de manière brutale, plutôt de faire en sorte que les jeunes instrumentistes sachent ce qu'ils jouent, et pourquoi. De redresser la barre tout de même si, parfois, cela va dans le contresens. Cas rare, sans doute, au bout d'un an à " bien se connaître".

"IL Y A ENTRE NOUS DE CONSTANTS ECHANGES"

"En fait je passe avec eux plus de temps que j'en passerai si je les avais comme élèves au Conservatoire. C'est cela qui m'intéressait dans ce projet, parce qu'aussi ils ont déjà un début de carrière, des idées, des choix; il y a entre nous de constants échanges, surtout quand on arrive comme maintenant en fin d'année, et ces échanges sont évidemment sur la musique, mais aussi sur bien autre chose que la musique" On comprend: culturels au sens large, et tout simplement humains.

C'est donc la troisième année, cela se passe de novembre à juin. On voudrait avoir des nouvelles de précédentes cuvées.

Je pensais que les six violoncellistes allaient tous défiler pendant  cette "classe d'excellence". Pas du tout: deux seulement, dans une stricte parité, une fille, un garçon, chacun jouant dix minutes, et leur morceau repris par Gautier, quasi note à note pendant une bonne heure.

Gautier Capuçon à l'oeuvre il y a quelques années C)AFP PHOTO / BORIS HORVAT

Gautier Capuçon à l'oeuvre il y a quelques années C) AFP PHOTO / BORIS HORVAT

UNE CLASSE STRICTEMENT PARITAIRE

Ah! pour ceux qui voudraient participer à l'expérience l'an prochain, en public plus ou moins passionné (certains, parmi les plus jeunes, ne quittent pas l'écran ou l'alphabet de leur téléphone), signalons d'emblée ce détail essentiel: il vaut mieux connaître l'anglais, que Gautier, lui le premier, parle sans l'accent qui le ferait être compris de n'importe lequel de nos compatriotes. Non, non, c'est un excellent anglais, un peu de musicien, qu'il partage ce matin-là avec une Lettone, puis avec un Autrichien au nom (et au physique) coréen...

LA PRIERE HEBRAÏQUE DE MAX BRUCH

Voici donc Margarita Balanas, blonde Balte de 23 ans, qui vit à Londres où elle a fait et poursuit ses études. Elle joue d'une traite le "Kol Nidrei" de Max Bruch, ce contemporain de Brahms. "Kol Nidrei" est un "tube" du violoncelle que je n'avais pas entendu depuis longtemps  (recherchez l'admirable enregistrement, pour trois francs six sous, de Pierre Fournier et George Szell, couplé au concerto de Dvorak et au "Schelomo" de Bloch, deux autres chefs-d'oeuvre)

Bruch, le protestant, a écrit le "Kol Nidrei" pour la communauté juive de Liverpool: c'est une illustration musicale de la prière dite le soir du Grand Pardon (Yom Kippour) et qui, justement, demande à Dieu de nous pardonner de ne pas avoir su tenir toutes nos résolutions. Je dis "nous" mais, comme je suis "goy", cela s'apparente, je suppose, au pardon des péchés pour les catholiques. Bruch compose une oeuvre d'une profonde sensibilité, très romantique, la première partie nous plonge dans les abîmes du repentir, la seconde partie voit la lumière divine se poser sur l'impétrant.

LE SENS D'UNE OEUVRE

Balanas commence à jouer: le son est beau, d'un lyrisme définitif dès le début, et qui ne variera guère. Les graves sont superbes, les aigus un peu grêles, elle est à l'aise dans les longues phrases très romantiques mais une master class de ce niveau, ce ne sera pas, ou très peu, un échange technique. Le sens de l'oeuvre et ce que la jeune Lettone en a compris: voilà ce qui intéresse Capuçon.

Sa première remarque, je la formulais moi-même: "the same type of sound / le même type de son": une intensité pas hors de propos mais qu'elle ne sait pas doser. "Pas trop agité. C'est une prière" Et puis "strapped in your body": comment dire? En attacher (le sens) à son corps, à son être. Etrange que cette jeune Lettone, venue d'un pays où la communauté juive a été décimée, donne le sentiment de rester extérieure à cette émotion mystique, ou plutôt à rester dans une émotion convenue! Le second thème arrive, presque indifférent. Gautier bondit: "Que veux-tu dire ici? De quoi s'agit-il?" Silence, tête baissée. "The gates of heaven are opening", ajoute-t-il avec force. "Les portes du paradis sont en train de s'ouvrir." Nous, nous l'avions tous ressenti...

UN PROFESSEUR QUI A RAISON

Et puis, au plus près de chaque phrase, car chaque phrase est reprise, repensée, décortiquée (et bravo au pianiste, Samuel Parent, qui doit être le partenaire de l'élève mais aussi des intentions du professeur, exercice ô combien périlleux!), la manière dont on doit gérer le souffle, mettre ou non l'intensité au début ou à la fin, faire chanter telle partie, moins telle autre, ou l'inverse. Et nous, en entendant le résultat, de se dire souvent, et c'est cruel: "Le professeur a encore raison"

Le professeur qui ne veut pas l'être. Et qui pourtant l'assume. Comme, tenez, le problème des attaques, que connaissent tous les musiciens. L'attaque, c'est, sur la première note, la précision musicale et sa clarté auditive encore plus que sa puissance. Il serait donc logique que la première note résonne davantage que la seconde. Mais parfois l'attaque n'est que l'ouverture à cette deuxième note beaucoup plus importante, et qui va s'appuyer sur la première comme sur un tremplin. Avec un instrument, plus encore qu'avec un grand orchestre, la différence est spectaculaire.

Gautier Capuçon à l'âge qu'ont aujourd'hui ses élèves C) AFP PHOTO / FRANK PERRY

Gautier Capuçon à l'âge qu'ont aujourd'hui ses élèves C) AFP PHOTO / FRANK PERRY

"PAS SEULEMENT BEAU MAIS MAGIQUE"

C'est tout le souci de Sol Daniel Kim dans le premier mouvement de la "Sonate pour violoncelle et piano" de Rachmaninov. Il a un son intense, très uni, très linéaire. Mais lui manque un peu de romantisme et il se laisse porter par la musique au lieu de la contrôler.

Il m'avait semblé pourtant entendre une interprétation de belle qualité; or Gautier sera encore plus impitoyable, forçant Kim sur chaque phrase à s'exprimer, se justifier, ce que le jeune austro-coréen, sans jamais perdre son calme, peine à faire: les intentions de ce qu'il a joué s'effondrent, on se rend compte qu'il n'y avait aucune ligne directrice, seulement de la technique. Il reprend donc, il cherche, et trouve, les ruptures. Capuçon l'encourage: "It's very beautiful (C'est très beau)" Puis le décourage: "But beautiful is not enough. I want it magical (Mais beau, ce n'est pas assez. Je veux: magique)"

Et ceci, qui vaut pour chacun: "We don't want to know what you want. No. It must be just evident for us" (Nous n'avons pas à connaître ce que tu veux faire. Surtout pas. Cela doit juste être évident pour nous, c'est tout)

Master class "d'excellence" de Gautier Capuçon avec Margarita Balanas, violoncelle, Sol Daniel Kim, violoncelle, Samuel Parent, piano. Oeuvres de Bruch et Rachmaninov. Fondation Louis-Vuitton, Paris, le 7 juin