Le pianiste Vincent Larderet joue Brahms et Ravel ce jeudi pour la bonne cause

Vincent Larderet C) Martin Teschner

Et Larderet ne jouera pas que Brahms et Ravel. Mais Liszt aussi, Berg et Falla.

Je ne vous dirai pas l'âge de Vincent Larderet, il a horreur de ça; mais simplement qu'il n'est pas un débutant et pas non plus un de ces pianistes chenus qui aborde aux derniers rivages. Je l'ai connu par une amie qui m'a emmené à la salle Gaveau il y a quelque deux ans. Il y jouait Scriabine, Liszt, Chopin et Ravel, avec beaucoup d'élégance et de poésie. Et en rendant à chaque compositeur, en s'y attachant en tout cas le plus possible, son identité propre. "Cela fait partie de mon exigence d'artiste", dit-il; en même temps pensai-je alors, à ce moment où nous parlions déjà ensemble depuis quelque temps, il en a beaucoup, des exigences d'artiste...

UN PIANO POUR CHAQUE COMPOSITEUR

Mais je ne vais pas le lui reprocher: "Ce qui m'importe, c'est que ce travail sur l'esthétique modifie vraiment les paramètres du jeu: le son de Ravel n'est pas le son de Chopin, le son de Chopin n'est pas celui de Schubert,etc. Il faudrait presque, en récital, un piano différent pour chaque compositeur, et qu'on a réaccordé pour lui" C'est le cheval de bataille du polonais Krystian Zimerman, qui choisit ses pianos avec un soin maniaque, ou se promène avec les siens, comme le faisait avant lui le légendaire Arturo Benedetti Michelangeli;."Ce sont deux artistes pour qui j'ai une intense admiration" lâche-t-il.

C) Martin Teschner

C) Martin Teschner

UNE BONNE ACTION CE 16 MARS

L'amie en question est donc l'organisatrice du concert de Larderet, jeudi 16 mars, à l'Institut National des Jeunes Aveugles, boulevard des Invalides à Paris. C'est au profit d'une grande cause, en liaison avec l'Agence Régionale de Santé d'Ile-de-France: la recherche sur les accidents vasculaires cérébraux, qui touchent tant de nos proches. Larderet a donc accepté de jouer pour France AVC dans la si jolie salle de concert de cet Institut, un bijou XIXe siècle.

"TRADITION ET TRANSITION"

Il y jouera donc une partie de son dernier disque, qui met en liaison, de manière inattendue pour moi, Johannes Brahms et Alban Berg, le dernier des grands romantiques et le plus accessible des membres de l'école de Vienne. "La 3e sonate de Brahms est celle d'un garçon de 23 ans, celle de Berg d'un garçon de 20 ans. J'aurais pu appeler ce disque Tradition et Transition. Brahms a écrit trois sonates dans ses premières années, puis plus aucune. La troisième a vraiment une dimension orchestrale. C'est assez étonnant car après ce seront des oeuvres courtes, souvent des "Klavierstücke" (Pièces pour piano!) Berg non plus n'écrira plus pour le piano. Comme si l'un et l'autre avaient épuisé cette forme, après Beethoven et Schubert. D'ailleurs les germaniques, dans les cinquante ans qui séparent Brahms et Berg, négligent le piano, Bruckner, Mahler, Richard Strauss. Schönberg, le maître de Berg, le fondateur de l'école de Vienne, lui, admirait Brahms, au point d'écrire comme le Brahms de la fin de courtes pièces pour le clavier" Et après Berg... la sonate pour piano, en pays germanique, n'existe plus, alors qu'elle continue en France et surtout en Russie (Scriabine, Prokofiev)

UN PIANO SYMPHONIQUE

J'aime beaucoup, d'ailleurs, comment Vincent Larderet aborde cette sonate dans son disque. Pas du tout comme un OVNI, une conclusion étrange à quelque chose. Et pas non plus comme une sonate pour piano. Mais comme une symphonie sans orchestre (pour paraphraser le titre d'une oeuvre de Schumann, le maître de Brahms: "Sonate pour piano dite concert sans orchestre") , avec ses cinq mouvements étrangement distribués. L' "Allegro maestoso" initial prend son temps, impose une rythmique, des silences, dans un son superbe où percent parfois quelques duretés. L' "Andante espressivo" est magnifique, surtout dans sa première partie, où Brahms, peut-être inconsciemment, paie sa dette à Liszt, trouvant dans la partie aiguë du piano une poésie rêveuse de la plus belle eau.

C) Bruno Melgari

C) Bruno Melegari

Le "Scherzo" est tellement brahmsien...je retrouve cette attention de Larderet à la rythmique exacte que demande le compositeur: "Il faut jouer ce qui est écrit, être le plus fidèle possible à ce que veut le compositeur. Et il y a toujours moyen de le savoir, avec un peu de recherche, un peu de curiosité". Le scherzo de Brahms n'a rien à voir avec celui de Mendelssohn; ce n'est pas un scherzo aérien, comme dans "Le songe d'une nuit d'été", c'est un scherzo de la terre. Le court "Intermezzo" rappelle Bach ou Beethoven dans ses accords plaqués, avant un "Finale"... symphonique, d'une éclatante virtuosité, où passe encore l'esprit de Liszt mais c'est bien du Brahms qui, en fanfare, dit adieu à une forme.

DES GAMMES DE CREPUSCULES

Les "Intermezzi" opus 117, si beaux, du Brahms des dernières années, des pièces courtes, de cet instrument automnal qu'est la clarinette, sont joués en chuchotant, presque un peu trop, me suis-je dit à la première écoute. A la deuxième, je me fais à ce refus de tout effet qui n'exclut pas la nuance, la variété des couleurs, mais dans des gammes de crépuscules où les couleurs s'éteignent lentement. Ce sont des Intermezzi de la pénombre.

Larderet réussit à me passionner pour la "Sonate" de Berg: c'est sa plus grande réussite! Il la structure, lui donne un élan ascendant et ce lyrisme juvénile que d'autres n'y mettent pas toujours. Lyrisme qui fait de Berg celui des trois dodécaphoniques viennois qui touche le plus le grand public. En particulier, pour moi, avec le "Concerto pour violon à la mémoire d'un ange" et ce "Woyzeck" que l'Opéra-Bastille reprendra le mois prochain.

C) Martin teschner

C) Martin Teschner

TECHNIQUE ET MUSIQUE

Et donc cette sonate, par Vincent Larderet, cette sonate que joue Maurizio Pollini. Pollini, Benedetti Michelangeli, qui, avant Larderet, contrôlaient le montage de leurs disques, choisissant les prises, le meilleur son, la meilleur résonance. "Peu de pianistes le font. Or c'est pour moi indispensable". Je n'avais jamais réfléchi à ça. Et c'est vrai qu'on entend parfois des pianistes, des chefs, se plaindre de la prise de son; "Pourquoi ne l'ont -ils pas contrôlée?" L'idée, c'est d'être en tandem, le technicien, le musicien. Pour avoir deux avis, basés sur deux paires d'oreille, aux exigences un peu différentes mais complémentaires. Et... imagine-t-on un réalisateur qui ne suit pas le montage de son film? Oui, hélas, aux Etats-Unis, quand on lui en retire le droit.

L'avant-dernier disque de Vincent Larderet, c'étaient les concertos de Ravel, un de ses dieux. Avec, dont il est très fier, un inédit de Florent Schmitt, le brillant compositeur de "La tragédie de Salomé" qu'on méprise aujourd'hui pour... un comportement un peu trop collaborationniste pendant la guerre de 39-45. "Ce n'est pas excusable mais il n'était pas le seul. On continue de vénérer Alfred Cortot qui a fait des choses bien pires. Deux poids deux mesures"

Vlado Perlemuter âgé de 85 ans ©Marcello Mencarini/leemage

LE JEUNE LARDERET ET LE VIEUX MAITRE ETUDIENT RAVEL

Vincent Larderet s'honore d'avoir connu Vlado Perlemuter. Perlemuter est mort en 2002 à 98 ans. C'était un de ces merveilleux artistes d'Europe centrale, comme un Rubinstein ou tous ces pianistes russes d'avant la Révolution, né polonais mais à Kaunas qui deviendra ensuite pendant 20 ans, avant Vilnius, la capitale de la Lituanie. Vlado Perlemuter prendra la nationalité française et travaillera avec Ravel à la fin des années 20, lui-même en ayant environ 25. Vincent Larderet était encore plus jeune quand il a rencontré un Perlemuter octogénaire: "Il y a une filiation Ravel, dit-il. Une lignée de pianistes qui partent de Perlemuter ou de Marguerite Long et qui s'attachent à préserver, d'après ses manuscrits et ce qu'il a dit aux uns et aux autres (car Ravel n'a laissé aucun écrit en-dehors de ses partitions, tous ses conseils ont été oraux) l'esprit de Ravel mais aussi, plus concrètement, rectifier les erreurs qui traînent dans certaines éditions et qui sont parfois répétées pendant plusieurs années. Rien que dans "Gaspard de la nuit", on a relevé une trentaine de fautes"

On a compris qu'il avait eu accès aux papiers de Perlemuter, qu'il en garde l'esprit de vénération pour Ravel, comme une Anne Queffelec, comme un Michel Dalberto qui fut, lui, l'élève de Perlemuter "et qui joue admirablement Gaspard de la nuit" Dalberto, autre magnifique pianiste de l'école française et qui, non plus, ne cherche pas la lumière. "Vous allez comprendre, me dit Larderet en revenant à Perlemuter. Il y a, à un certain endroit de l' "Alborada del gracioso" un ré à la main gauche et un ré dièse à la main droite. Cela fait une dissonance très particulière. Mais dans beaucoup d'éditions, pour faire sonner plus "harmonieux", on a mis un ré dièse aux deux mains. Qui croire? Perlemuter m'a dit ceci "Quand j'ai joué le passage à Ravel, j'ai joué évidemment la combinaison la plus intéressante, le ré ET le ré dièse. Il ne m'a pas repris et n'a absolument rien dit"

LA RENCONTRE ESPAGNOLE DE RAVEL ET FALLA

Vincent Larderet est si attaché à Ravel que, je m'en souviens, il nous avait joué à Gaveau la suite pour piano de "Daphnis et Chloé" que Ravel lui-même avait écrite. Peut-être la jouera-t-il en novembre à ce festival d'Erstein, "le seul festival de piano d'Alsace", dont il a pris il y a peu la direction artistique. C'est de plus en plus fréquent chez les musiciens, diriger un festival, Rudy depuis longtemps à Saint-Riquier, Renaud Capuçon au Festival de Pâques d'Aix-en-Provence (c'est bientôt)...

Larderet joue le "Concerto pour la main gauche" de Ravel à La Roque-d'Anthéron C) Christophe Grémiot

Larderet joue le "Concerto pour la main gauche" de Ravel à La Roque-d'Anthéron C) Christophe Grémiot

Voilà pourquoi j'ai hâte d'entendre les "Miroirs" qu'il jouera jeudi. L'oeuvre pour piano la plus longue de Ravel, une demi-heure, une merveille. "Avec l' Alborada del gracioso", d'inspiration espagnole, qui explique que je finisse par Falla, la Fantaisie bétique, la pure Espagne..."

Quant à moi, rencontrer Ghraichy et Larderet la même semaine sur la planète piano, c'est passionnant. Mais ne me demandez pas de choisir; et ce n'est pas pour être benoîtement oecuménique....

Et j'essaierai d'entendre jeudi s'il joue, dans l' "Alborada del gracioso", le fameux ré et le fameux ré dièse!

 

Concert de Vincent Larderet, piano, jeudi 16 mars à l'Institut des Jeunes Aveugles, 56 Bd des Invalides, Paris 7e. Tél. de réservation 06.13.69.63.17

Brahms: Sonate n°3. Intermezzi op.117 / Berg: sonate opus 1 CD ARS Produktion

Ravel: les deux concertos pour piano / Schmitt: "J'entends dans le lointain..." pour piano et orchestre Vincent Larderet, piano. OSE Orchestra, dir. Daniel Kawka 1 CD ARS Produktion

De Vlado Perlemuter, thésaurisez les CD de Ravel et Chopin, parus chez NIMBUS