"Les caprices de Marianne" de Musset et Henri Sauguet débarquent au Capitole de Toulouse

Heureux Toulousains ! Ils vont découvrir à partir de vendredi un charmant spectacle, et déjà salué comme tel puisque ces "Caprices de Marianne" ont obtenu en 2015 le Grand Prix du Syndicat de la critique théâtrale pour la meilleure production lyrique en région. Il faudrait d'ailleurs écrire "en régions" puisque c'est une production à têtes multiples, fruit de la collaboration de quatorze grandes maisons dont le Capitole de Toulouse justement, l'Opéra de Bordeaux, celui de Nice, etc. Nous-mêmes l'avons vu le mois dernier à Rouen, avec l'excellent orchestre de l'Opéra Rouen-Normandie (celui que dirige régulièrement, excusez du peu, Laurence Equilbey) aux jolies individualités, sous la direction attentive et poétique de Gwennolé Rufet.

Ainsi, vous l'aurez compris, c'est l'orchestre de l'opéra local qui officie généralement et ils ne sont pas tous de la même qualité. Mais on n'a aucune inquiétude concernant celui du Capitole. Les chanteurs, eux, tournent en double distribution. Ils ont l'oeuvre dans le gosier et la mise en scène dans les jambes même s'il s'agit, pour cette jeune troupe, d'apprivoiser à chaque fois un nouveau lieu: la jauge du théâtre de Rouen est beaucoup plus intime que celle du Capitole et cette intimité convenait bien à la comédie tragique de Musset et à la fine musique d'Henri Sauguet.

UN MUSICIEN HELAS TROP OUBLIE

Henri Sauguet, musicien hélas! trop oublié, né en 1901 et mort 88 ans plus tard, a souffert à la fin de sa vie d'une profonde désaffection que n'ont pas arrangée squelques déclarations maladroites lors d'une conférence à l'Institut de France en 1985 intitulée "Difficulté d'être de la musique française". Nous n'avons pas lu son texte, qui tombait mal à une époque où les défenseurs de la musique sérielle continuaient de tenir le haut du pavé, mais le constat de base est plus que jamais d'actualité et c'est toute la musique française du XXe siècle qu'il faudrait réévaluer, voire sortir de l'oubli. Sauguet eut sa période de gloire dans l'immédiat après-guerre, il connut même un triomphe avec "Les Forains" que chorégraphia Roland Petit (le thème initiale des "Forains" fait partie de la mémoire collective!)

Ses "Caprices de Marianne" datent de 1954, ils eurent les honneurs du festival d'Aix-en-Provence. Mais, pour ne rien arranger du cas Sauguet, le livret fut confié à Jean-Pierre Grédy, oui, oui, le Grédy de "Barillet et Grédy", les empereurs du boulevard façon "Au théâtre ce soir", ce qui était à l'époque une horreur, et pour les amateurs de Musset et pour ceux du théâtre subventionné. Aujourd'hui, grâce au François Ozon de "Potiche" et à "Fleur de cactus" réhabilitée par le duo Frot-Fau, on conviendra facilement que le livret de Grédy respecte Musset, qu'il est d'une grande finesse dans l'étude de caractère, à peine si ce pauvre Coelio apparait un peu trop soupirant (au premier sens du terme, car il l'est de toute façon au second!)

Marianne est une jeune femme de Naples, mariée à un magistrat plus âgé et jaloux. Coelio, qui a son âge, est fou d'elle. Mais, trop timide pour lui déclarer sa flamme, il charge son ami Octave, garçon à bonnes et nombreuses fortunes, de plaider sa cause. Et, comme Marianne demeure indifférente, il charge Octave de revenir à la charge. A force, on s'attend qu'Octave le jouisseur tombe enfin amoureux. Non, c'est l'inverse: Marianne se sent peu à peu de tendres sentiments pour lui. Il y aura d'autres péripéties avant celle, dramatique, où Coelio apprend ce qu'il considère (à tort) comme son infortune. Musset a le goût du marivaudage mais chez Marivaux l'histoire ne se termine jamais en tragédie. Chez Musset, oui.

LA MUSIQUE N'EST JAMAIS TRAGIQUE, ELLE EST MELANCOLIQUE ET GRACIEUSE

La musique de Sauguet n'est jamais tragique; elle est mélancolique et gracieuse, extrêmement bien écrite; évidemment, c'est sa limite et celle de son auteur, on se dit souvent: ça ressemble à Poulenc, ou parfois, souvent même, à Darius Milhaud, ça fourmille de touches debussystes, ça fait une embardée du côté de Messiaen, bref il n'y a pas la personnalité, la touche immédiatement identifiable des plus grands génies. Mais l'air de Marianne sur l'amour est bien charmant, émouvante la scène de Coelio et de sa mère, réussie la fin, brutale et glaçante, car le romantisme de Musset est plus proche de la netteté d'un Stendhal que du lyrisme d'un Hugo.

La mise en scène d'Oriol Tomas inscrit l'histoire dans la galerie Humbert Ier, structure 1900 de pierre et d'acier du centre de Naples: pourquoi pas, cela fait un joli décor ! Tomas suit les personnages avec finesse, les distribue comme dans une pièce de Goldoni où la proximité des habitations et de leurs occupants est adoucie par le dédale des ruelles: chacun épie l'autre mais peut se cacher s'il le veut. Mention aussi au beau travail sur la lumière d'Etienne Boucher même si les rougoiements infernaux de la scène finale sont un peu too much.

M. Scoffoni (Octave) et A. Fargues (Marianne) C) Alain Julien

M. Scoffoni (Octave) et A. Fargues (Marianne) C) Alain Julien

Aurélie Fargues est une très juste Marianne, coquette et sage, indifférente peu à peu gagnée par de troublants sentiments. La voix est très jolie, elle gagnera en moelleux. Cyrille Dubois, beau timbre, fait un Coelio un peu uniformément larmoyant. Philippe-Nicolas Martin est un excellent Octave, il hérite d'une partie vocale constamment atonale dont il se sort avec les honneurs et il est très crédible en jeune insouciant que la vie rattrape. Des autres personnages, citons la belle voix sombre de Sarah Laulan ( la mère de Coelio), la magnifique basse de Julian Bréan qui chante... la duègne, une duègne de deux mètres assez moustachue que Bréan campe aussi d'impayable manière. Le joyeux personnage d'aubergiste de Jean-Christophe Bom hérite de deux airs qu'il défend bien malgré quelques problèmes de justesse.

On est tout surpris d'apprendre dans le programme que le dernier opéra de Sauguet, "Le pain d'autrui", d'après Tourgueniev, ne trouva aucun théâtre pour l'accueillir et demeure inédit. Triste et injuste disgrâce pour un homme dont le nom, au moins, revit aujourd'hui dans les grands opéras de France. Après Toulouse, "Les caprices de Marianne" iront à Bordeaux. Sa ville natale. Il n'y a que les Parisiens qui devront attendre, il n'est pas prévu que cette production vienne jusqu'à eux.

"Les caprices de Marianne" d'Henri Sauguet d'après la pièce d'Alfred de Musset

Théâtre du Capitole de Toulouse du 22 au 31 janvier 2016

Calendrier des représentations futures: - Opéra de Bordeaux du 19 au 23 février 2016

- Opéra de Saint-Etienne les 8, 10 et 12 avril 2016

- Opéra de Limoges les 10 et 12 mai 2016