Gabès : enfin le début de la fin de la pollution chimique?

Vue générale du site pollué de Gabès. La pollution est provoquée depuis quatre décennies par une unité de transformatiion du phosphate. (AFP - FATHI NASRI)

Le gouvernement tunisien s'est engagé à mettre en œuvre un vaste programme pour résoudre les graves problèmes de pollution engendrés depuis quatre décennies par un complexe chimique à Gabès (sud). Pourra-t-il tenir parole ?

Plusieurs manifestations ont eu lieu ces jours derniers dans la ville contre la pollution de l’usine. Le 5 juillet  2017, un rassemblement nocturne a eu lieu pour réclamer la suspension des rejets à la mer des boues de phosphogypse et rappeler le droit des habitants à un environnement sain. Trois jours plus tôt, un millier de personnes avaient marché contre cette pollution devant les unités de production de l’entreprise publique GCT (Groupe Chimique Tunisien), protégées par les forces de sécurité.

L’extraction et la transformation des phosphates sont une industrie d'exportation cruciale pour la Tunisie. Gros pourvoyeur d’emplois (près de 4000, sans compter les emplois induits) dans une région très pauvre, le GCT, 4e entreprise nationale, est installé depuis les années 1970 à Gabès. La transformation du phosphate, qui sert notamment à la fabrication d'engrais, donne lieu au déversement en mer de grandes quantités de phosphogypse. On parle de 6000 tonnes (selon Amnesty International), voire 10-12.000 tonnes par jour (selon une autre source) ! Autres produits déversés : du fluor, des métaux lourds... Réputé être une frayère (lieu où les poissons déposent leurs œufs) de la Méditerranée, le golfe de Gabès est aujourd’hui très fortement pollué.

L’activité pollue la mer. Et l’atmosphère. «Fonctionnant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les cheminées des usines rejettent en permanence ammoniac, dioxyde de soufre ou encore oxyde d’azote, en quantité jusqu’à huit fois supérieure aux normes internationales, selon l’aveu même du GCT», affirme Amnesty. La pollution s’étend en raison de pluies acides qui s’attaquent aux cultures dans cette région très aride. «Et où l’eau des nappes phréatiques se fait de plus en plus rare, pompée en masse par le GCT et la cimenterie de Gabès.»   

Un projet à 1,1 milliard d’euros

Résultat : la pollution menace la santé humaine. «Le taux de pathologies respiratoires, maladies des os, cancers et allergies est anormalement élevé», observe Amnesty. «Mais impossible de trouver une enquête épidémiologique sur ce sujet tabou.»

 

Manifestation de protestation contre les rejets de l'usine chimique de Ghannouch à Gabès le 30 juin 2017 .(AFP - FATHI NASRI)

Manifestation de protestation contre les rejets de l'usine chimique de Ghannouch à Gabès le 30 juin 2017 .(AFP - FATHI NASRI)

Après la révolution de 2011 qui a mis fin à la dictature, des voix se sont enfin élevées pour dénoncer cette pollution. Les protestations ont récemment gagné en vigueur dans le cadre d'une campagne citoyenne intitulée «Stop pollution» et organisée par des représentants de la société civile et des partis politiques. De son côté, le GCT dit vouloir «assumer ses responsabilités» et met en avant les projets envisagés pour combattre la pollution : centre de stockage…

Le Premier ministre Youssef Chahed a signé un programme visant «à démanteler progressivement les six unités de production» existantes et à les remplacer «par une nouvelle zone industrielle conforme aux standards internationaux» en matière d'environnement, a affirmé le gouverneur de Gabès, Mongi Thameur.

Ce projet, d'un montant «record» de 3,2 milliards de dinars (1,1 milliard d'euros) et qui bénéficiera d'une aide internationale, prévoit le remplacement de deux unités de production à un rythme biannuel, a expliqué le Premier ministre. Ce qui «permettra une réduction progressive des rejets en mer».

En mai 2016, la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH) a déposé un dossier auprès de l’Instance Vérité et Dignité (IVD, chargée de recenser et d’indemniser les victimes des dictatures en Tunisie), pour défendre les droits de Gabès, «région victime de la pollution». Comme l’avaient fait, avant la LDTD, deux organisations de la société civile, pour Kasserine (centre-ouest). Gabès, Kasserine : deux régions délaissées du temps de la dictature et qui continuent à en payer la note.

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé