"Mes lectrices sont nostalgiques des débuts amoureux" : entretien avec Yuki Shiwasu, l'auteure du shôjo manga "Takane & Hana"

C’est à Tokyo (Japon), dans les locaux d’Hakusensha, l’éditeur du bimensuel de prépublication de shôjo [manga destiné aux jeunes filles], Hana to Yume, que l’on a rendez-vous avec l’auteure de Takane & Hana. Si elle est intimidée, la jeune femme à la silhouette élancée nous confie toutefois qu’elle a pris soin de faire une manucure avant notre entretien. Pas très étonnant lorsqu'on sait que ses mains et ses ongles seront les seules parties de son corps que nous allons pouvoir photographier. Car, comme la plupart des jeunes mangaka, Yuki Shiwasu, protège farouchement son anonymat et c'est pour cela que vous ne verrez jamais son visage sur nos photos. Accompagnée par son éditrice, elle s’est confiée sur ses premières lectures, son rythme de travail et ses récents coups de cœur. L’occasion d’en apprendre davantage sur la jeune femme qui a débuté sa carrière il y a maintenant presque dix ans.

(HAKUSENSHA)

"Takane & Hana" en couverture du magazine "Hana to Yume" en juin 2017.

En France, sa série Takane & Hana, dont le tome dix sort le 16 août aux éditions Kazé, conte un jeu du chat et de la souris entre deux jeunes. L'histoire d'Hana, une pétillante adolescente de 16 ans qui accepte de se rendre à la place de sa sœur à un omiai, un rendez-vous dans le cadre d'un futur mariage arrangé. Elle y rencontre Takane, un héritier aussi fortuné que désabusé, qu’elle envoie rapidement balader. Mais son apparent désintérêt pique au vif la curiosité du jeune arrogant et les deux jeunes gens entament alors un drôle de jeu de séduction où les répliques vont fuser. Un shôjo nouvelle génération dans lequel la jeune fille est loin du rôle de soumise dans lequel on la cantonnait jusqu’à peu et où l'humour est au premier plan.

Pop Up' : Quel est votre premier souvenir de manga ?

Y. S. : Je crois que je devais avoir 9 ans. J’étais chez une amie qui avait chez elle le magazine Ribon [un magazine de prépublication de shôjo très connu au Japon]. Je l’ai ouvert, mais je ne savais pas comment le lire ! C’est là que j’ai découvert l’univers des mangas, même si à l’époque, ça ne me plaisait pas tant que ça.

C’est plus tard, vers 11 ou 12 ans, que j’ai commencé à en lire, car au fond de notre salle de classe, il y avait une caisse où l'on déposait nos lectures pour les partager. Je me souviens y avoir trouvé les mangas de Rumiko Takahashi [l’auteure de Ranma 1/2] que j'ai adorés. C’est comme ça que j’ai découvert le shônen [manga destiné aux jeunes garçons]. J’aimais beaucoup également Akazukin Chacha de Min Ayahana (inédit en France) qui paraissait dans Ribon et qui est un shôjo plutôt comique.

Comment organisez-vous votre travail au quotidien ?

Y. S. : Ça dépend des jours. Quand je réfléchis au scénario, je passe des journées entières à ne faire que ça, mais pas forcément au bureau. Ensuite, je consacre une semaine à la réalisation du scénario dessiné. L'étape suivante, les roughs, me prend environ neuf jours. Et quand la deadline approche, je dessine toute la journée. La veille du jour où je dois rendre les planches, je dors généralement 3 heures et le reste du temps je dessine. Il faudrait que je m’organise un peu mieux pour que ça change ! J’ai seulement deux assistants pour m’aider.

Ikumi Ishigaki, son éditrice : Elle n'a que deux assistants pour l'aider dans son travail. C'est peu. Les mangaka ont parfois jusqu’à huit personnes qui travaillent avec eux.

Les différentes phases de l'élaboration de "Takane & Hana".

Vous faites ce métier depuis près de dix ans. Les choses ont-elles évoluées pour les mangaka pendant cette période ?

Y. S. : Le plus grand changement, c’est évidemment le développement du numérique, tant au niveau de la fabrication des mangas que dans les ventes des magazines de prépublication, désormais concurrencés par la publication online.

Est-il plus difficile d’être une femme dessinatrice de manga ?

Y. S. : Comme je travaille pour un magazine de shôjo où travaillent beaucoup de femmes, je n’ai pas vraiment vu de différence. Personnellement, je suis proche de deux ou trois auteures de mangas, mais on ne se voit pas souvent car je n’habite pas à Tokyo. Je ne me sens pas isolée pour autant. Lorsque j'ai besoin de conseils, pour faire avancer mon histoire par exemple, c'est vers mon éditrice que je me tourne. On se parle régulièrement et quand je suis bloquée ou que j'hésite dans la direction à prendre, on finit toujours par trouver ensemble une solution.

Que représente le shôjo pour vous ?

Y. S. : Ce n'était pas forcément ce que je voulais faire au début de ma carrière. Mais j’ai envoyé mes premiers manuscrits à des magazines shônen et ça n’a pas marché. Ce n’est lorsque j’ai commencé à proposer des histoires shôjo que j'ai démarré. Dans le shôjo, c'est la psychologie des personnages qui est très importante et j'ai encore beaucoup à apprendre sur le sujet. Pour moi, faire du shôjo, c’est être face à l’autre.

I. I. : Le shôjo est avant-tout un divertissement. L’univers et les personnages sont évidemment importants, mais il faut surtout que l’histoire fasse rêver les lectrices.

Avez-vous encore le temps de lire des mangas ?

Y. S. : Peu. Quand je lis des shôjo qui ressemblent à ce que je fais, je ne peux m’empêcher de me dire que je ferais les choses différemment. Donc pour m’évader, je dois lire autre chose. Récemment, j’ai lu par exemple Holiday Love (inédit en France) de Koyama Yukari et Kusakabe Eriza qui traite de l’adultère.

Dans Takane & Hana, vous parlez de la différence d’âge dans un couple mais surtout de la différence sociale. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Y. S. : C’est un thème répandu dans les mangas. Je pense que plus il y a d’obstacles, plus l’histoire se complexifie et devient intéressante pour le lecteur. Si l'héroïne est pauvre, en plus de la différence d’âge, c’est parce que je pensais que mes lectrices pourraient ainsi plus facilement s’identifier à Hana.

Comment imaginez-vous vos lectrices justement ?

Y. S. : J’ai eu l’occasion de faire une fois une session de dédicaces. Il y avait environ 70 personnes, des filles mais aussi des garçons. Je reçois des lettres de fans et je sais que j'ai des lecteurs appartenant à différentes générations. Mais là, il y a avait un écolier et c’était plus surprenant ! Beaucoup de femmes mariées m’écrivent aussi. Souvent, elles me racontent leur mariage ou comment elles ont rencontré leur mari. Elles sont très attachées à l’histoire et au développement d’une relation entre les personnages car elles sont très nostalgiques des débuts amoureux.

Avez-vous puisé dans votre expérience personnelle pour raconter l’histoire de "Takane et de Hana" ?

Y. S. : Non, pas vraiment. En revanche, pour les dialogues, je peux m’inspirer de conversations que j’ai avec mes amis.

Quel est selon vous le meilleur manga de tous les temps ?

Y. S. : Mon histoire (publié en France aux éditions Kana) de Kazune Kawahara et Aruko.

Le tome 13 de "Mon histoire" publié aux éditions Kana.