En Mai, fait ce qu'il te plait... enfin...

(DAVID SPEIER / NURPHOTO)

Le 1er Mai aura été, de façon tout à fait traditionnelle, un jour de manifestation des organisations syndicales. En ce mois de Mai 2018, l'on pouvait y voir un caractère un peu particulier, s'agissant du 50ème "anniversaire", si l'on peut dire, des soulèvements de Mai 68.

Pourtant, les organisations syndicales appelant à manifester étaient loin de cela, se trouvant bien plus dans leurs revendications, face au pouvoir exécutif, et la politique menée par Emmanuel Macron. Réforme des universités, de la SNCF et du statut des cheminots, de la CSG, des retraites... les causes et revendications ne manquent pas.

Par dessus tout cela, dans un mouvement tout à fait parallèle, ceux que j'appelle des anarchistes de l'ultra-gauche se sont réunis, et ont pris la tête du cortège de manifestation. Tous vêtus de noir, encagoulés, casqués, voir pour certains équipés de masques à gaz. Ils sont identifiés comme étant des black-bloc. Rappelons que, sans qu'il ne s'agisse d'une organisation officielle, reliée par un pouvoir ou une direction centrale, il s'agit d'un terme par lequel des hommes et des femmes se retrouvent dans le cadre d'une action collective, éventuellement violente, ayant pour but de faire la démonstration de leur caractère "anti-systeme". Ils sont donc totalement détachés de tout appel à manifester qu'il soit syndicaliste ou politique, y compris même de nos partis dits d’extrême gauche. Même si l'on imagine bien qu'ils puissent avoir quelque affinité idéologique. Ainsi les composantes des black-blocs peuvent aussi bien appartenir à certains mouvements officiels, politiques ou non, d’extrême-gauche, mais prônant, individuellement, des actions violentes.

Ces individus étaient donc à peu près 1200, selon les observateurs, à s'être retrouvés, le 1er mai, devant le pont d'Austerlitz, à Paris, en tête de cortège. Les images retransmises en direct n'ont pu que laisser froid dans le dos, tant il était clair, dès le début, de la volonté anti-pacifiste affichée. Et ils avaient, face à eux, autant de CRS, voir un peu plus, chargés de les contenir.

Le maintien de l'ordre: échec ou réussite?

Après avoir pris la tête du cortège, ces blacks-blocs ont avancé en direction de la place d'Italie. Jusqu'à croiser la route du Mac Donald; malheur lui en a pris... Le saccage du restaurant se déroule en direct sur BFM. Et les images sont terribles. Le Mac Donald, symbole du capitalisme, donc.... ok... Pendant ce temps-là, à aucun moment il n'est question du cortège des manifestants. La seule actualité se déroule sous nos yeux. Les excités continuent, brisent des vitrines, taguent les murs, et vont jusqu à brûler des voitures d'une TPE vendant des véhicules sans permis. Gros capitalisme, là encore... logique, quand tu nous tiens.

Arrive alors le moment tant attendu. En tous les cas par eux. Le surveillant général (le Préfet de Police, en réalité) siffle la fin de la récré. Et l'on voit deux canons à eau, suivis par les CRS, avancer à marche forcé en direction des cagoulés.

La musique n'est plus tout à fait la même. Ils commencent à reculer.

Là où, à mon sens, cela a été très bien géré, c'est que, entre temps, la manifestation officielle a été déroutée. Si bien que ceux qui étaient là avec de vraies revendications n'ont jamais été mêlé (ou très peu) aux extrémistes venus pour en découvre physiquement. Même si j'entends que, le parcours ayant été modifié, il n'a pu aller à son terme.

Toujours est-il que les sauvageons ont alors été pris un peu comme dans une nasse, bloqués de l'autre coté du pont d'Austerlitz par d'autres rangées de CRS....Et là, c'est "courage fuyons". Je dois bien avouer que je me suis posé la question de savoir s'il n'était pas dangereux de les bloquer sur un pont. Mais non, il y avait bel et bien quelques issues. Nombreux sont ceux qui ont fui directement via le jardin des plantes ou encore directement sur les quais de Seine.

Au final, un peu moins de deux cent arrestations, la moitié, ayant fait l'objet d'une mesure de garde à vue. Les premiers ont été présentés en comparution immédiate, mais ont demandé un délais pour présenter leur défense.

C'est là qu'interviennent les critiques. Certains hurlent au scandale qui aurait consisté à laisse faire les black-bloc, dans leur déchaînement de violence, à casser les commerces se trouvant sur leur passage. Les mêmes jugent qu'il aurait été plus judicieux d'empêcher ces personnes-là de se rassembler en amont.

On ne peut évidemment que déplorer tous ces commerces détruits, et les emplois menacés, au moins à court terme. Il est évident qu'il y avait, par l'attitude de ces manifestants violents, des risques pour les personnes, à vouloir incendier des commerces situés au rez-de-chaussés d'immeubles d'habitation. Sans même parler des risques de mauvaise manipulation en eux-même.

J'avoue que j'étais de cet avis en voyant les images en direct. Et puis, avec le recul, je me dis que tout ça a finalement été très bien géré. Soyons réalistes, les black-bloc ne se déplacent pas dans le métro avec leur casque sur la tête ou le masque à gaz sur le nez, et un cocktail molotiv à la main. Ils utilisent de vraies techniques de dissimulation. Quitte, même, je pense, à cacher, en amont, ce qui leur sera utile plus tard, sur le cortège. Et puis interpeller avant, c'est de toute façon se soumettre à la critique de ceux qui hurleront contre le fait qu'on a atteint à la liberté de manifester. Et une suite judiciaire proche de zéro, faute d'éléments.

Aussi, je préfère prendre un peu de distance. Et je me dis que, face à 1200 personnes venues pour "tout casser", il n'y a eu, au final, que quelques commerces détruits (évidemment, pour eux, c'est très difficile, et je me met à leur place, c'est ignoble). Mais en terme de sécurité publique, il n'y a eu aucun blessé grave. Lorsque l'on sait que ces mouvements n'attendent finalement qu'une chose, c'est qu'il y ait un mort, qui sera alors martyr de la cause. Il n'en est rien. L'on ne déplore que quelques blessés legers.

En ce qui me concerne, plusieurs objectifs ont été atteints:

  • dissocier les manifestants violents, black-bloc, de ceux qui sont venus avec de vraies revendications contre la politique du gouvernement
  • permettre au cortège de vrais manifestants de défiler (même si ce défilé s'est trouvé écourté)
  • réguler la violence des cagoulés sur un périmètre resserré (même si, en soirée, l'on sait que des événements isolés ont pu se dérouler dans certains quartiers parisiens)
  • aucun blessé grave n'est à déplorer; que cela soit du coté des forces de l'ordre ou des manifestants

Ce qui est dommageable, et je le redis, c'est que ces mouvements ne font qu’éteindre la parole des vraies oppositions politiques. Il n'y a qu'à voir quelles sont les informations qui ont ensuite été relayées le soir, aux journaux télévisés. Même si je me dis que ces gens-là n'ont finalement aucun discours politique, ne prônant que la violence pour déconstruire la société à tous les niveaux. L'on pourrait aussi, ici, se poser la question de l'angle choisi par les rédactions, de mettre au centre de leurs choix éditoriaux, ces extrémistes, plutôt que ceux qui étaient venus avec des intentions démocratiques.

Les suites judiciaires

Une centaine, donc, de ces encagoulés ont été placé en garde à vue; et certains seront présentés à la justice.

Que peut-on leur reprocher?

Les destructions et/ou dégradations de biens publics, prévues à l'article 322-1 du Code Pénal (punissables d'une peine de deux ans de prison et 30.000 euro d'amende). L'on peut y ajouter, selon les cas, différentes circonstances aggravantes, comme le fait qu'elles aient été commises par plusieurs personnes ou encore  le fait qu'elles aient été commises par des personnes dissimulant volontairement en tout ou partie leur visage afin de ne pas être identifiée. La peine peut alors être portée à cinq ans de prison et 75.000 euro d'amende.

Mais, pour les biens qui ont été incendiés, pourrait aussi être retenue l'infraction prévue à l'article 322-6 du code pénal, s'agissant de destruction par moyen incendiaire dangereux pour les personnes. La peine peut alors être portée à 10 ans de prison et 150.000 euro d'amende Là encore, l'on pourrait trouver une circonstance aggravante dans la commission des faits en bande organisée (même si cela parait capillotracté).

Ceci étant dit, ne nous leurrons pas. Il m'apparaît très compliqué d'identifier les principaux fauteurs de ces événements. Quand bien-même le nombre de caméras était très important et tous les évènements filmés. Il est probable que la grosse majorité des personnes soient poursuivies pour la participation à un attroupement armé, infraction prévue et réprimée par l'article 431-4 du code pénal. La peine encourue est de un an de prison et 15.000 euro d'amende. Et si la personne a continué à participer à l'attroupement après les sommations des forces de l'ordre, la peine peut être portée à 5 ans de prison et 75.000 euro d'amende, tout comme le fait de dissimuler son visage lors d'un tel attroupement.

Pour autant, n'en doutons pas, les plus violents ont, je pense, réussi à se faufiler avant l'interpellation. Il n'est pas du tout évident que les enquêtes en cours permettent d'identifier les incendiaires des commerces du 13ème arrondissement. Attendons de voir ce que seront les enquêtes. La justice prendra alors la suite. Nous verrons bien ce que les magistrats désormais en fonction au tout nouveau Tribunal de Grande Instance de Paris, décideront dans les tout prochains jours.

Enfin, juste un mot pour parler des communications qu'ont déjà pu faire certains syndicats policiers. Quelle cohérence de hurler au laxisme de la justice avant même que celle-ci se soit prononcée? Mettre la pression? Soyons sérieux. Ceux-là crient déjà au scandale sans même avoir connaissance de la moindre procédure. Cessons un peu ces postures politiciennes. Que chacun reste à sa place, et s'occupe du travail qui est le sien. Il en va de la cohérence de notre système démocratique.

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Enfin, je profite de ce billet, pour diffuser, ici, la lettre de Maurice Grimaud, préfet de police de Paris, aux policiers, en Mai 1968. Il me semble que cette lettre est un rappel très juste fait aux policiers. N'oublions pas qui nous sommes. Quelles que soient les tâches difficiles qui nous sont soumises.