Voilà une petite histoire, telle que je l'ai vécue pas plus tard que ce matin. Je vous précise tout d'abord le contexte: il s'agit d'un stage de formation continue, comme nous en faisons... allez, je ne vais pas dire "régulièrement". Disons comme on devrait le faire, bien plus souvent. Alors même que, je dois le reconnaitre, je suis le premier à râler. A la fois parce que, ça ne tombe jamais bien, un stage, on a toujours une tonne de travail. Mais aussi parce qu'ils sont trop peu rares. Trouver le juste milieu est un exercice d'équilibriste, juste impossible. Bref.
Voici donc le contexte: il s'agit d'aller interpeller un individu réputé dangereux, à domicile, un matin, à six heures. Ce Que fait d'ailleurs la Police Judiciaire très fréquemment. La majeur partie des interpellations se font soit en "dynamique", c'est à dire en mouvement, alors que l'objectif se déplace, soit à domicile, durant les heures légales. Lesquelles sont, je précise, entre six heures et vingt et une heure. Sauf quelques cas précis, pour les infractions de criminalité organisée ou de terrorisme.
Cas pratique
Nous voilà donc devant le domicile de notre objectif. Je suis juste derrière mon binôme, qui est équipé d'un bouclier. Nous avançons dans le couloir. Le top est donné, la porte est petée par le bêlier s'ouvre.
De suite, nous essuyons des tirs provenant de l'intérieur de l'appartement. Nous ripostons.
L'individu finit par se retrancher dans une autre pièce. Nous n'avons aucune visibilité vers l’intérieur. Nous intimons à l'individu de sortir, les mains devant, sans arme. Il nous dit qu'il n'a plus d'arme. Qu'il l'a jetée. Aucun moyen de vérifier cette information. Encore une fois, nous ne voyons rien. Ni la pièce, ni lui, ni son arme. Il est alors demandé de sortir, les mains en avant, qu'on puisse les voir. Pas de réponse. L'ordre est réiteré à plusieurs reprises. au bout de 2/3 minutes, il sort. Mais de dos. L'on ne voit pas ses mains. On lui crie de nous les montrer. A cet instant, toujours aucun visu sur la présence d'une arme sur lui. Il reste figé. Au bout de quelques instants, il finit par se retourner brusquement. Je fais feu. Une seule fois.
Fin de l'exercice.
Au final, il n'avait pas d'arme sur lui, elle était restée dans la pièce. Je précise que j'ai alors été le seul à faire feu. Que je l'ai touché aux jambes. Je ne saurais vous dire où je visais à cet instant. Mais il a été impacté aux jambes.
Évidemment, il s'agit d'un exercice. Bien sur que l'exercice est fait pour nous faire réfléchir, et nous entrainer. Peut-être que la situation (surtout le fait qu'il se montre "de dos") est improbable. Mais, elle permet, selon moi, de poser quelques questions autour de la légitime défense.
Très clairement, dans une situation réelle, je serai probablement placé en garde à vue. Et probablement mis en examen. Et, fonction des blessures, infirmité, ou décès de celui sur lequel j'aurais tiré, je devrais comparaitre devant une Cour d'Assise. 3 ans plus tard. Plus une année pour un éventuel appel.
Je ne vous parlerai que très peu de la médiatisation qu'il pourrait y avoir si l'homme devait décéder. D'éventuelles manifestations, voir émeutes. Là, ce n'est pas de la fiction, c'est déjà arrivé.
Les questions qui se posent
Déjà, on pourrait discuter longtemps sur la vitesse à laquelle s'est retournée l'homme. Pour moi, c'était brusque. Pour un autre de mes collègues, non.
On pourrait aussi se dire qu'il faut faire appel à un service tel que la BRI; on peut imaginer avoir quelqu'un (ce qui n'était pas le cas), habilité au Taser, ou toute autre arme non létale. On peut tous imaginer avoir profusion de moyens. Mais dans la pratique, ça n'est pas forcément le cas, les choses se passent parfois assez, voir très vite.
Avant tout, y a-t-il légitime défense?
En ce qui me concerne, je pense qu'il n'y a pas légitime défense, au sens de l'article 122-5 du Code de Pénal.
Décomposons un peu cet article. Pour qu'elle puisse être retenue, il faut, cumulativement, trois critères:
- une atteinte injustifié, envers sois-même ou autrui
- que la défense soit mise en œuvre dans le même temps
- qu'il y ai une proportion entre l'attaque et la défense
A mon sens, la légitime défense ne serait pas retenue. Parce que l'on pourrait estimer que la menace n'était pas imminente, puisque l'échange de coups de feu avait cessé. Et, comme je l'ai dit plus haut, repartir et laisser un service d'intervention. Mais s'il sort tout de suite, sans ce "temps mort" de discussion? Alors oui, je sais, on pourrait continuer à l'infini, ce "et si"... mais toutes ces configurations sont, un jour, susceptibles d'arriver. parce que l'on n'est jamais prêt à ce qui va arriver. parce que, précisément, ça ne se passe jamais comme on l'aurait imaginé.
Alors oui,l'entrainement est fait pour cela. Essayer, du mieux que l'on peut, d'avoir des bons réflexes, des automatismes.
Nous avons, ici, le temps de discuter, disserter. Mais la décision, je l'ai prise, en quelques dixièmes de seconde. Comme c'est le cas en pareille situation. Et l'instruction judiciaire durera.
S'il m'apparait tout à fait normal qu'il y ait une enquête, je suis dubitatif quant à la position de gardé à vue qui a pour objet de placer le policier dans la même situation que les délinquants (ou présumés) qu'il interpelle à longueur d'année. Alors même qu'il agit au nom de l'Etat, dans l'exercice de ses fonctions.
Et vous? qu'en pensez-vous?