Les manifs de flics: que faut-il y voir? que peut-on en attendre?

crédit @remybuisine

 

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Cela fait plusieurs soirs que les policiers manifestent, en dehors de tout appel syndical. Et les manifestations se multiplient, à travers toute la France. Parties de l'Essonne, gagnant Paris, les images de soutiens à ces manifestations arrivent désormais de tout le territoire. L’exaspération est belle et bien là. Avec quelles conséquences? Aujourd'hui et demain

Les flics, ces voyous

Je lis, ici et là, ceux qui s’interrogent, ceux qui craignent, ceux qui dénoncent, les dernières manifestations policières. Deux choses reviennent souvent: le fait que les policiers dissimulent leur visage et qu'ils manifestent armés, voir se dirigent vers l'Elysée, laissant craindre, à certains, le pire.

Petit rappel préalable: les policiers ont le droit de manifester, en dehors des heures de services, et sans les attributs liés à leur fonction; c'est à dire, sans arme, sans usage des véhicules administratifs, etc.... Donc, je pense (parce que je connais pas ceux qui manifestent) que ceux qui se cachent le visage le font parce qu'ils ont peur des sanctions possibles. Et pour cause, Mr Falcone, le Directeur Général de la Police Nationale, a brandi cette menace avant, ce matin, de l'attenuer un peu, parlant désormais de "rappel des règles".

Pour autant, je peux concevoir que l'image de policiers "cagoulés" choque; je dois bien avouer que je n'en suis pas fan, en terme d'image; cela nous associe à d'autres images du genre, et nous est finalement, je pense, préjudiciable. Mais je peux comprendre.

Ensuite, vis à vis de ceux qui brandissent l'argument selon lequel les policiers se sentent au dessus des lois, puisque manifestant masqué, alors que c'est interdit, je dis ceci: il me semble qu'il faut chercher un peu plus loin que la simple image. Si la dissimulation du visage a été interdite sur les manifestations, c'est surtout parce que c'est un moyen de se cacher... notamment pour les casseurs qui ne veulent pas être identifiés. Même si oui, je l'entend, certains se cachent pour ne juste pas être identifiés. Mais ce ne sont pas eux qui sont visés par les textes. Mais les casseurs. y a-t-il eu des débordements,dans les manifestations de ces derniers jours? De la casse? des blessés? Pas que je sache!

j'ajouterai un petit mot à l'attention de ceux qui pensent que ces manifestations sont téléguidées par le Front National. Si tel est le cas, que les éléments soient avancés, publiés, prouvés. C'est, à mon sens, trop facile que de se voiler la face, en parlant de manipulation, pour mieux ne pas voir les problèmes en face.

Enfin, pour ce qui est du risque d'un soulèvement qui verrait un affrontement aux portes de l'Elysée, j'avoue ne pas y croire. Qu'il s'agisse de mettre un peu "la pression" sur nos autorités, pour les pousser à agir, c'est une chose. imaginer que l'on force les grilles de l'Elysée ou d'un ministère, au moyen des armes en dotation, ou par le simple usage de la force... il y a bien plus d'un pas. Je ne le franchirai pas, tellement il est grand. Remettons un peu de raison au milieu de tout cela, sans y voir plus qu'il n'y a, sans catastrophisme exacerbé.

Quelles perspectives?

Ils sont nombreux, les "flics"à se retrouver à l'antenne ou dans les journaux. Quels que soient leurs grades ou fonction. Des syndicalistes et des anonymes, et c'est plutôt bien.

Ce matin, j'ai pu entendre, ce matin, Jean-Luc Taltavull, Secrétaire National Adjoint du SCPN (Syndicat des Commissaires de la Police Nationale), qui intervenait sur France Inter. Il disait, et je le rejoint, qu'il ne s'agit de pointer du doigt, telle ou telle personne, ni même telle ou telle fonction; qu'il s'agisse des magistrats, de la hiérarchie, des politiques... Nous sommes face à une problématique qui trouve sa source, à la fois dans plusieurs causes, qui se cumulent. Et si la "grogne" est telle, c'est que les problèmes n'ont pas été reglés depuis longtemps, que les policiers ne sont pas écoutés, ou très peu, depuis plusieurs décennies. Voyons quelques unes des thématiques:

  • la hiérarchie

C'est la première chose qui revient dans les discussions. Et, à l’intérieur même de cette thématique, on peut parler de beaucoup d'autres choses. Tout d'abord le management en lui-même. Il est devenu tel qu'il n'y a plus de dialogue entre "collaborateurs" pour être efficace, devenu de plus en plus tendu. Pour carricaturer, il y a celui qui réfléchit, qui a l'autorité, et celui qui obéi aux ordres, probablement pas assez intelligent pour faire plus. J'insiste, je caricature, j'exagère, mais c'est à l'image du ressenti. Les corps de policiers ne travaillent plus ensemble, mais chacun à leur niveau.

Tout ça est peut-être du, au moins dans une certaine mesure, à la politique du chiffre; on peut dire ce qu'on veut, elle est présente depuis des années. L'on demande toujours plus de statistiques aux policiers; les services ont tous des objectifs chiffrés. Et, même si, je le répète, on doit pouvoir mesurer l'activité de la police, il s'agit de mesurer AUSSI, du qualitatif. Pas uniquement la quantité. Combien de policiers se plaignent de devoir faire "du TA". C'est à dire du contraventionnel. Je ne suis plus, moi-même, en tenue, mais déjà il y a 15 ans, chaque fonctionnaire devait faire un certain nombre de TA au stationnement (ce qu'à Paris on appelle les "verts") et d'autres TA, c'est à dire (toujours à Paris), le reste des infractions; feux-rouge, sens interdit, éclairages des véhicules, etc... C'est quelque chose qui est très facile à faire pour un policier; il n'y a que tendre la main pour en ramasser 10! Et même si la lutte contre l'insécurité routière est une nécessité, on n'y comprend plus rien lorsque les policiers ont pour ordre de ne pas chasser des conducteurs de 2 roues sans casque, par exemple. Cela crée un "2 poids 2 mesures" que personne ne comprend.

Au niveau des services judiciaires, les chiffres existent aussi. Nombre d'interpellations, de garde à vue, de déferrements, d'écrous... tout ça est pris en compte. Et certaines primes, notamment en direction, sont indexées sur les résultats. Ce qui pousse, donc, aux chiffres, à la consommation. Et toujours au détriment de la qualité.

  • les syndicats

Je l'ai déjà explicité; il y a une réelle défiance, vis à vis des syndicats. Même si leur rôle est loin d'être aussi facile qu'il n'y parait, il faut aussi le dire. Mais certaines individualités ont données une image plus que déplorable du syndicalisme. Combien de représentants nationaux sont au grade sommital de leur catégorie? Combien ont un avancement "accéléré" au regard de la majorité des policiers? Et certains syndicaliste de haut rangs qui cumulent avec une fonction autre, comme par exemple, le CESE ou un mandat électif local. Depuis combien de temps certains délégués nationaux ne sont-ils pas retourné en service actif? A coté de cela, demeurent des fonctionnements rendus assez flous. Des policiers qui attendent depuis des années à pouvoir partir en mutation, dans certains secteurs où il est difficile de muter. Aucun poste n'est ouvert et, bizarrement, tout à coup, une liste de mutés apparaît! Il y a encore trop d'opacité dans certains mouvements. Tout comme dans certains avancements. Et tout cela crée de la confusion et de la généralisation.

Ajoutez à cela des avancées jugées plus qu'insatisfaisantes, et vous obtenez une image de compromission entre politiques et syndicalistes. Ce n'est peut-être, souvent, qu'un sentiment, sans réalité concrète. Mais ces quelques individualités font énormément de mal au fonctionnement global des syndicats.

Enfin, par rapport à l'appel d'une intersyndicale, la semaine prochaine. Je dois avouer que je suis assez mal à l'aise sur le fait que les rassemblements se déroulent devant les palais de justice; ils n'auront pour seule conséquence que de stigmatiser les magistrats, de les opposer à la police, alors que, précisément, il s'agit de travailler ensemble. Et les rendre responsables de tous les maux que nous connaissons n'a également aucun sens.

  • la politique pénale et les décisions de justice

Tous les policiers sont en capacité de vous livrer des "affaires" dans lesquelles ils ont interpellé des individus, pour telle ou telle infraction. Et que ce même interpellé se retrouve à les narguer, le lendemain. Parfois à nouveau interpellé, pour une infraction similaire, ou différente! Alors même qu'aucune réponse pénale n'a été rendue.

J'entends les réactions selon lesquelles le nombre de détenus à doublé en 30 ans, et le fait que ce sentiment ne reposerait sur rien de concret! Et pourtant, ces situations, les policiers ne les inventent pas! Les réponses pénales, trois ou six mois après les faits, n'ont aucun sens. Surtout pour l'interpellé lui-même! Comment interpréter une peine au regard d'un fait passé depuis plusieurs mois, oublié? Et il en va de même pour le policier! Quel sens donne-t-on aux risques qui ont été pris pour l'interpellation? Parce que c'est bien de cela dont il s'agit, aussi: ce sentiment que le travail, et les risques encourus, n'ont servi à rien.

A coté de cela, je crois qu'il faut nuancer les choses

  1. les magistrats rendent des décisions au regard du droit qui est voté par les parlementaires; en tant que tel, ils appliquent le droit. Ce sont bel et bien les assemblées (le Sénat et l'Assemblée Nationale) qui votent le droit. Donc, si des modifications doivent avoir lieu, cela doit passer par le législatif. En ce qui me concerne, oui, je suis favorable aux peines plancher, dans certains cas; notamment de multi réitérants. Peut-être ne luttent-elles pas contre la récidive, mais elles mettent hors d'état de nuire certains individus, durant un certain temps. Ensuite, une autre vision doit voir le jour vis à vis de l'usage des armes, par les policiers. C'est un fait, les policiers pensant avant tout à protéger leur famille, et ne pas risquer la mise en examen, les retenues sur salaire... au détriment de leur propre sécurité. A l'image de cette phrase terrible que j'ai pu lire "mieux vaut-il être porté par six ou jugé par 12" ? C'est très lourd de sens. Je l'ai déjà dit, comment expliquer autant de jets de cocktails molotovs contre les policiers? Il était évident qu'un jour, il y aurait un blessé grave, voir un mort! Rien n'a été fait pour juguler cela! Et c'est à l'image.
  2. un déficit de communication: les policiers se plaignent de décisions de justice qu'ils ne comprennent pas. Je reste persuadé que nombre d'entre elles peuvent s'expliquer. C'est donc, à mon sens, plus un problème de communication. Ensuite, je souhaiterai vraiment que des échanges bien plus importants puissent avoir lieu entre policiers et magistrats. Qu'il s'agisse des OPJ ou des primo-intervenants, à l'origine du plus grand nombre d'interpellations. Et cela doit se faire dans les deux sens. Les magistrats doivent aller dans les services. Et les policiers également. Même si, j'en ai conscience, cela représente énormément de monde. Mais il faut absolument améliorer les contacts. Les uns ne sont pas forcément des plus informés quant aux difficultés des autres, et leurs charges de travail réciproques.
  3. les moyens: l'on parle clairement de prison; mais, c'est aussi une réalité; telle qu'elle est actuellement, en rien elle n'aide à la réinsertion après la peine. Même si, j'en conviens, elle ne peut être la seule réponse pénale. L'on se trouve à nouveau directement confronté aux moyens. Au premier rang desquels le numérus clausus qui, certes, n'a rien d'officiel, mais qui est une réalité! Nous n'avons pas assez de places de prisons. Et celles que nous avons ne sont pas adaptées. Trop grandes, trop "générales", ne permettant aucun "travail" durant la peine. Mettre quelqu'un en cellule pendant des mois, et le faire juste "attendre" la fin de la peine n'a aucun sens! Ce temps doit être mis à profit pour apprendre un métier et apprendre des éléments de base de la réinsertion, réapprendre des règles de vie en communauté, comment faire pour ne pas qu'il recommence. Et ensuite, passer à une étape intermédiaire en liberté. Avec un suivi concret. Ce qui se fait, je le sais; mais trop peu, bien souvent par manque de  moyens.
  • le recentrage sur les missions de police et les moyens d'intervention

Avec les attentats, de nombreuses mission de surveillance statiques ont été mises en place. De facto, cela fait moins de monde à patrouiller, et à intervenir. Combien de fois, les véhicules sont-ils sous-équipés, ou alors inexpérimentés? Combien de patrouilles circulent avec un seul policier titulaire, accompagné d'un policier stagiaire (tout juste sorti d'école) ou un Adjoint de Sécurité (CDD de la police, avec une formation initiale très courte)? Ou alors des véhicules qui ne sont équipés qu'à deux fonctionnaires! Avec un effectif de 4 policiers l'on préfère deux véhicules à deux intervenants, plutôt qu'un seul; et pour cause, on voit deux fois plus de patrouilles! Sauf que c'est un non sens pour les intervenants. Un problème de sécurité, et donc, de risques qui sont pris. Il va donc falloir redéfinir les modes d'intervention, et recentrer les policiers sur leurs missions.

Bien malin est celui qui sait ce que donneront ces mouvements de policiers, à terme. Simplement, attention à ne pas être récupères par des lignes politiques, quelles qu'elles soient. Attention, aussi, à l'image qui est donnée! Si la plupart peuvent comprendre les problématiques auxquelles nous sommes confrontés, les moindres débordements, qu'il s'agisse de paroles ou de faits, disqualifieront l'ensemble des mouvements. Et auront donc un impact négatif bien plus important et dommageable. On peut être en désaccord; on peut en avoir ras le bol; on peut même être exaspérés, pour autant, on peut aussi éviter les injures, noms d'oiseaux et autres expressions "imagées". Et dire "on en a ras le bol, on ne veut plus discuter avec les politiques" est juste un non sens. Nous restons dans un état de droit qui a une organisation, une séparation des pouvoirs que sont le judiciaire, le législatif et l'exécutif. Tous les changements doivent se faire dans le respect stricte de cette organisation. A un moment donné, il va falloir discuter. Concrètement.

Je prône, en ce qui me concerne, pour une table ronde multipartite. Pour refonder la police nationale dans ce qu'elle est (organisation, liens hiérarchiques, missions), mais aussi dans ses rapports avec les autres administrations, au premier rang desquelles se trouve la justice. Tous, travaillons ensemble.