"Stop à la haine du flic" - Une manifestation utile?

Conséquence directe des manifestations qui parsèment désormais notre vie à tous (au moins dans notre regard par le biais de la presse), les syndicats policiers appellent à manifester, le 18 mai prochain. Le mot d'ordre "stop à la haine du flic".

Une intersyndicale, chose rare pour être soulignée

C'est le syndicat Alliance Police Nationale, majoritaire chez les gardiens de la Paix, qui lance cet appel. Il a été rejoint par les autres syndicats, "Unité SGP Police" et "Unsa Police"

Pointant la perte de ferveur de l'élan de solidarité de Janvier 2015, déplore le "sentiment de défiance relayé jour après jour contre des policiers fatigués", ou encore "l'acharnement irresponsable à vouloir faire croire que les policiers sont des brutes sauvages..." .

De son coté, Unité SGP souhaite "aller plus loin, pour "... faire comprendre au gouvernement et à nos concitoyens les réelles difficultés du métier de policier", et oriente son tract vers la rémunération. Unsa Police, elle, dirige directement son tract vers les affiches de la CGT ou encore "l'incompétence des organisateurs au regard des manifestants".

De son coté, le Ministre de l'Interieur Bernard Cazeneuve appelait, lui, les policiers "Faites votre devoir; faites-le en serrant les dents".

Cette période est particulièrement délicate. Y compris pour le policier que je suis, qui ne participe en rien à ces manifestations, d'un coté ou de l'autre. Celui qui ne fait qu'observer ce qu'il se passe, ce qui se dit ou s'écrit. Chaque jour apporte son lot de défiance, d'images de policiers qui usent d'une violence parfois disproportionnée. Je n'irai pas dire le contraire, les images sont parlantes. C'est un fait. Et, il ne fait aucun doute que certaines, par de tels comportements ne font que nuire à l'image globale qui pèse sur l'ensemble des policiers de France. Et ils n'en ont pas conscience.

Mais chaque jour apporte également son lot de policiers blessés. L'on peut aussi en parler. Alors, j'entends bien que l'on n'attends pas la même chose d'un policier, représentant de l'Etat, que d'un manifestant. Le premier doit être exemplaire, c'est un fait. Ça ne veut pas dire, pour autant, que l'on ne doit pas parler des violences contre les policiers. De ceux qui se mêlent aux manifestants juste parce qu'ils sont venus "casser du flic". Les flics ne sont pas des sous-homme parce qu'ils ont des devoirs. Un blessé est un blessé. Et contrairement à bonne vieille rengaine, non, le flic n'est pas "payé pour ça".

Il m'est très difficile d'écrire sur le sujet, tellement il est sensible. Si je fais autre chose que demander une comparution immédiate de tous ces policiers, l'on va me taxer de corporatisme. J'aime bien faire ce parallèle, parce qu'il est, je trouve, très criant de vérité. Manuel Valls, à propos de terrorisme, il y a quelques mois, s'était exprimé en disant que "expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser". Et il s'est fait conspuer, tant par la presse que les réseaux sociaux. Et à juste titre. Si bien que, quelques semaines plus tard, il se voyait obligé de revenir sur ces déclarations. Tout du moins les préciser.

Et pourtant, à parcourir cette même presse, ces mêmes réseaux sociaux, on ne pourrait pas en faire de même pour les policiers. On ne peut pas essayer de comprendre pourquoi il y a des excès. Rapidement, on se trouve dans une situation où, si l'on tente la moindre phrase, le moindre mot, ce serait presque approuver les violences illégitimes, et dès lors, par nous-même, nuire à l'image de la police! L'on arrive dans une espèce de dichotomie; il n'y a plus aucune nuance. Il y a le blanc et le noir, les bons et les mauvais.

Chercher à comprendre, est-ce déjà excuser?

Et pourtant, sans soutenir ces débordements policiers, je ne peux que vouloir chercher à comprendre le "pourquoi". Parce que non, un flic n'est pas, naturellement dans les rangs de cette administration pour casser du manifestant. Qu'il soit étudiant, travailleur, ou quoi que ce soit. Je n'ai jamais fait de maintien de l'ordre, je dois bien l'avouer. Je n'en connais donc pas les tensions. Mais je peux juste imaginer ce qu'elles sont en me mettant à la place des CRS ou gendarmes mobiles, lorsqu'ils se prennent toute sorte de projectile. Alors certes, ils sont protégés, ont un équipement souvent adéquat. Et pourtant, l'on dénombre désormais plus de 200 blessés, parmi les forces de l'ordre, depuis le début des manifestations. Et, à titre d'exemple, un policier s'est vu prendre sur lui une batterie de voiture, un autre ayant été évacué dans un état critique il y a quelques jours.

Aussi, il me semble qu'il est nécessaire de prendre en compte l'état de fatigue des ces forces de maintien de l'ordre. Ils sont formés, c'est certain. Mais il faut avoir conscience qu'ils sont pris par monts et par vaux, depuis les attentats de janvier 2015. Et, encore un cran au dessus depuis qu'a été décrété l'Etat d'Urgence après les attentats de Novembre. Ce sont bel et bien les policiers en tenue qui sont les plus exposés. A la fois par la menace terroriste qui pèse sur le pays, mais aussi par les tensions sociales qui ne font que s'aggraver. A chaque fois, ce sont les mêmes qui sont rappelés. A chaque fois, ce sont eux qui gèrent le maintien de l'ordre. L'on ne parle que des manifestations où cela se passe mal, qui dégénèrent. Mais elles sont plusieurs centaines, chaque année, à se dérouler de manière pacifique. Et ils sont toujours là. Présents.

Alors oui, la fatigue est là. Forcément. Et l'on n'est pas tous égaux devant la fatigue, le stress. Parce que oui, aller au boulot en  se disant qu'on va s'en prendre plein la tronche, c'est un stress. Entendre qu'un collègue est gravement blessé dans une manifestation similaire, c'est un stress. Travailler dans des conditions complexes, parfois en sous-effectif, c'est un stress. Voir une manifestation calme qui vire au lychage anti-flic, c'est un stress. Devoir attendre l'ordre de dispersion, et prendre des pavés au visage, devoir être attentif sur un champ de vision élargi, à ce qui pourrait vous arriver dessus, c'est un stress. Et lorsque le CRS s'en est pris plein la gueule, sur une journée de manifestation, rentre chez lui le soir, et voit la CGT qui s'amuse de ses affiches provocatrices, oui, c'est un stress. Voir son conjoint, ses enfants, inquiets lorsque les tensions sont telles, c'est un stress. Et pourtant, le policier, ou le gendarme, y retournera le lendemain si on le lui demande. Et il exercera avec  professionnalisme.

Oui, des policiers outrepassent leur fonction par des violences illégitimes. A ce titre, je rappellerai que la police est la fonction publique, à la fois la plus contrôlée, mais aussi la plus sanctionnée. C'est une réalité.

Mais oui, la grande majorité de ces policiers fait correctement son travail. Et non, chercher à comprendre, ce n'est pas excuser. C'est commencer à faire en sorte que ça ne puisse se reproduire.

Aussi, je peux comprendre ces appels à manifester, qui ne sont que la manifestation, provenant de la base, de ce ras-le-bol, cette sensation "anti-flic" que l'on ne peut que constater. Je ne sais si je serai dans les rangs, n'étant pas un manifestant dans l'âme. Pour autant, je dis "attention".

Attention, à, justement, ne pas, de notre coté, pousser à l'amalgame. Soutenir les policiers qui font leur job avec grand professionnalisme est une nécessité. Mais les syndicats ne doivent pas non plus renier ce qui a pu se passer, et certains actes gratuits qui se sont déroulés. Parce que, à ce moment-là, ces manifestations n'auront été que contre-productives à la volonté affichée.

Enfin, là où je suis plus sceptique, c'est qu'en fait, cette manifestation ne changera, à mon sens, pas grand chose. Ceux qui sont les plus prompts à dénoncer les policiers du doigt, à pointer des minorités, le feront toujours. Et ceux qui soutiennent l'action globale de la police le feront encore. Au final, statut quo, rien ne bouge.

En attendant, j'ose espérer que tout cela ne finira pas de manière tragique, par un décès... qu'il s'agisse d'un manifestant ou d'un policier. Mais je dois bien avouer que le "spectateur" des tensions sociales du moment, ne voit rien à l'horizon qui puisse calmer les esprits! Et c'est plutôt inquiétant.