Calais sous tensions: les policiers sont en première ligne

27 policiers blessés, ces derniers jours, à Calais. Nous en sommes à trois nuits, durant lesquelles les policiers ont eu maille à partir avec des migrants/réfugiés, à Calais. J'ai clairement la sensation que le ton monte. Les habitants sont excédés (c'est un euphémisme), la situation humanitaire est catastrophique, et l'on apprend que des groupuscules exterieurs, politisés, font monter la mayonnaise au sein même de ce qu'on appelle désormais "la jungle de Calais". On en arrive, à des batailles rangées.

Tout ceci n'est pas sans rappeler ce qu'il s'était passé à Sangatte, entre 1999 et 2002. Ouverture d'un centre pouvant accueillir environ deux cent personnes, et trois ans plus tard, ils sont un peu moins de dix fois plus. Dans une situation sanitaire, là encore, difficile.

Nous voilà quinze ans plus tard, et la situation est revenue au point de départ, avec encore plus de migrants/réfugiés.
Il ne m'appartient pas de porter un jugement en relation avec des décisions politiques. Le pouvoir en place fait des choix, tant de politique interne qu'internationale. Mais, en tout état de cause, la situation se dégrade. Et elle faite des mêmes ingrédients qu'à Sivens, il y a tout juste un an. Une opposition entre les forces de l'ordre et des groupes d'individus. A Sivens, ces groupes étaient plus ou moins organisés. Il semblerait qu'à Calais, ils le deviennent. Et, plus le temps passe, plus la situation se tend.

Ce que je redoute, c'est que survienne un drame! Qu'il s'agisse d'un policier ou d'un manifestant! Faut-il qu'on en arrive là pour prendre des décisions? J’espère que non. Même si, je l'avoue, quelle que soit la décision à prendre, elle est loin d'être simple.

Police et droit de retrait

Lors d'une conversation de ce jour, sur Twitter, la question a été posée de ce que les policiers pourraient désobéir, refuser d'aller "au charbon". Existe-t-il un droit de retrait pour les policiers?

Ce que l'on appelle "droit de retrait" est visé par le Décret n°85-603 du 10 juin 1985 relatif à "l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale"Vous l'aurez noté, il est très clairement fait état des notions d’hygiène et de sécurité du travail. C'est d'ailleurs le sens du retrait qu'a pu demander le syndicat "UNSA Police", précisément sur ce qui peut se passer à Calais. Mais il s'agissait alors de problématiques d’hygiène en intervention. Il ne s'agit donc aucunement de refuser une situation de maintien de l'ordre, ou de désobéir à un ordre hiérarchique.

Avant tout, sur ce qui m’apparaît juste être du bon sens, refuser un ordre me semble tout à fait inapproprié. Si un policier (c'est pareil, voir pire, pour un gendarme), en vient à refuser une intervention, au motif que l’exécutif ne fait pas ce qu'il faut... ce serait un peu, pardonnez-moi l'expression, la "porte ouverte à toutes les fenêtres"; autrement dit, un grand n'importe quoi! Cela signifierait que le policier s’immisce dans la sphère politique, et émet des avis, ce qui est loin d'être son rôle, quel que soit son grade! Ou cela commencerait-il? Pour s'arrêter ou?

Pour autant, cela signifie-t-il que le policier n'a "ni coeur, ni cerveau, ni conscience politique" ? Je crois que non. Au contraire. D'ores et déjà, pour faire ce métier, mieux avoir du cœur; et je pense que c'est précisément une qualité commune à tous les policiers. Pour ce qui est du cerveau et de la conscience, justement, ce serait ne pas en avoir, que de refuser une intervention. Cela pourrait mettre les institutions en péril. La police est un corps hiérarchisé, qui est soumis, dans le cadre du maintien de l'ordre, au pouvoir exécutif. Avec, à sa tête (en ligne directe), un ministre et, plus localement, au niveau territorial, un Préfet. Ce qui ne veut pas dire qu'il s'agisse de répondre à n'importe quel ordre.

Les baïonnettes intelligentes

Il s'agit de la théorie selon laquelle un soldat (à l'origine, mais cela s'applique aussi aux forces de l'ordre) refuserait d'appliquer un ordre "manifestement illégal". Et, justement, en refusant l’obéissance, il agirait en conscience, s'adressant dès lors à l'autorité hiérarchique immédiatement supérieure.

Cette théorie est d'ailleurs reprise par le code pénale, au travers, tout d'abord, de l'article 121-1, selon lequel

"Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait".

Cet article est donc valable pour tout un chacun. Et c'est l'article 122-4 du Code Pénal, qui nous concerne donc plus précisément, nous, forces de l'ordre:

N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires.

N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal.

Les choses sont dès lors claires; l'appréciation est portée sur l'ordre en lui-même, sur le fait de savoir s'il est illégal ou non. On comprendra facilement que donner l'ordre de tuer quelqu'un est illégal. Alors que le fait d'intervenir lors d'une manifestation, ou même "vider" un squat, n'a rien d'illégal, puisque agissant en se prévalant, soit de textes issus du Code Pénal ou du Code de Procédure Pénal, voir d'arrêtés préfectoraux . Chacun étant dès lors responsable de la manière dont il agit. Raison pour laquelle sont enseignées des techniques d'intervention, et que, bien sur, l'on fait appel au discernement de chacun.

L'histoire se souviendra de deux faits susceptibles d'être liés à de tels comportements d'ordres illégaux. Le plus récent étant l'affaire dite des "paillotes", en Corse, au cours de laquelle des gendarmes ont brûlé une paillote, agissant sur ordre de leur hiérarchie. Celle-ci étant commandité par le Préfet Bonnet, qui succède alors à Claude Erignac, assassiné. L'opération était bien évidemment illégale. Quand bien même les gendarmes se sont prévalus d'ordres donnés, chacun à leur niveau, par leur hiérarchie respective. Les gendarmes, ainsi que toute la hiérarchie, y compris le Préfet et son directeur de cabinet, ont été condamné en 2002, à la fois en première instance, mais aussi en appel.

La seconde référence se trouve être la plus ancienne, et la plus complexe, puisqu'il s'agit précisément du rôle de la Préfecture de police de Paris, et de ses agents, lors de l'occupation française, sous le régime de Vichy. Jusqu'à ou le policier doit-il suivre un ordre qui vient du haut de la hiérarchie administrative? A quel moment doit-il se désolidariser? C'est une question bien complexe.

Pourvu que nous n'ayons plus jamais à nous poser ce genre de question.