L’édition 2015 du Rapport sur l’homophobie vient de paraître : un état des lieux unique de cette forme de bêtise, de haine et de violence à l’égard des homosexuels-les, des transgenres et des transsexuels-les. La Journée internationale du 17 mai contre l’homophobie et la transphobie nous rappelle que des hommes et des femmes sont moqué-e-s, exclu-e-s, agressé-e-s, violé-e-s, torturé-e-s, tué-e-s parce qu’ils/elles aiment et baisent comme ils/elles l’entendent.
L’homophobie tue.
L’homophobie, c'est d’abord un mot. A s’en tenir à sa morphologie, on pourrait croire que ses quatre syllabes plongent leurs racines dans la langue grecque. C’est à moitié vrai. Apparu dans les années 1970, le mot résulte de l’hybridation entre l’abréviation du terme « homosexuel » et du suffixe grec « - phobos ». Suffixe qui ne dit pas seulement la peur - et qui entendu ainsi débouche sur une des phrases cultes de l’homophobie ordinaire : « Moi les PD, ils ne me font pas peur » - mais aussi la répulsion et la haine, sources de violences et de discriminations, dans la sphère publique comme dans la sphère privée.
Mais quand Morgane, 18 ans, est violée par des prétendus copains après leur avoir annoncé qu’elle est bissexuelle et que le lendemain ses amies lui demandent « si c’était mieux qu’avec une fille ? », l’homophobie n’est plus seulement qu’un mot. Elle entraîne coups, bleus, douleurs, honte. Quand Adrien, 15 ans, est traité par ses grands frères de « suceur de bites » et qu’il ne peut rien dire à ses parents ne voulant pas d'«un enfant comme ça », l’homophobie n’est plus seulement qu’un mot. Elle entraîne repli sur soi, désamour, mal-être, idées suicidaires.
L’homophobe est un-e homocide en puissance. Parce que la haine tue. Brahim Bouarram, jeté dans la Seine, Mollie Olgin tuée d’une balle dans la tête à Portland. Et puis il y a aussi toutes ces morts qui vous laissent en vie, la mort de l’estime de soi, la mort du désir, la mort de la joie de vivre. Le taux de suicide est a minima trois fois plus élevé chez les ados homosexuels-les que chez les ados hétérosexuels-les.
Quand l'homophobie nage en eaux internautiques
Depuis le premier rapport publié par SOS Homophobie en 1997, la parole des victimes de la haine homophobe s’est libérée. Les témoignages sont en constante hausse, avec un pic notable en 2013. Les débats au sujet du « mariage pour tous » ont agité le chiffon rouge au mufle de beaucoup. Partout. De l’hémicycle au bar-tabac du coin, en passant par les tablées familiales, les cours de récré et les open-space.
Le terrain de prédilection de l’homophobie ordinaire et quotidienne, c’est Internet, cet espace dit "de libre expression", où l’anonymat rend les couards courageux, permet et banalise toutes les insultes, imprécations, malédictions, tous les appels au meurtre. Une parole privée rendue publique en un clic.
Faut-il rappeler que la liberté d’expression s’arrête là où l’expression de la haine et l’appel à la violence commencent ?
Etude de cas d’un site homophobe
Il est l’un des sites-leaders de la blogosphère se revendiquant « française de souche ». Y sont mis en ligne plusieurs fois par jour des vidéos et des articles empruntés aux médias généralistes et spécialisés. Le titre de chaque post, post qui présente de manière tronquée et pernicieuse le contenu de l’article, sonne l’hallali et trolle les haines.
A la suite de chaque post, les commentaires sont nombreux, numérotés comme les plats sur la carte des restaurants chinois de la place Maubert, accessibles un temps grâce à un mot de passe puis « archivés ». La plupart du temps rédigés dans un français correct, certains d’entre eux sont attendus/appréciés pour leur logorrhée imagée et leurs imprécations d’un autre temps.
On y retrouve une phraséologie et des détestations communes : les Arabes (dits « les crasseux »), les Noirs (dits les « gros nez », les « negwes »), les Juifs, les féministes souvent confondues avec les lesbiennes (« broute-minous », « gousses », ou encore ces femmes « qui sont en rage de ne pas être nées homme » ), les gays (« paydays », « tafioles » ), les gens de gauche (« bolcho », « socialopes », « gauchiasseux »)
Certains patronymes sont suffixés - Philippette pour Philippot par exemple, suffixation à la fois diminutive et féminisante - quand ils ne sont pas précédés de l’expression « cette pédale de » qui tient dans la phrase le rôle grammatical d’un déterminant. A ne pas confondre avec l’expression « la pédale du samedi soir », périphrase désignant… Laurent Ruquier. Gays et gouines sont sans cesse ramenés-ées à leur sexualité, bites et chattes sur pattes. Fourest vs Caron ? « la gousse contre le bolcho ». Mathieu Gallet ? « Très couvert par le lobby des invertis ». « Inverti », un mot si dix-neuvième, siècle auquel ces visionnaires de l’Apocalypse ont arrêté leurs pendules.
Chez les FDS, comme ils s’appellent et s’interpellent (« français de souche » à ne pas confondre avec les FDP « fils de pute » et les CPF « c’est pas français », qu’on pourrait tout aussi bien acronymisé CPB pour « c’est pas blanc), tout n’est que « lobby », « propagande », « complot », « désinformation ». Autant d’attitudes projectives, où l’on expulse de sa personne et localise dans l’autre ce que l’on refuse de voir/d'admettre en soi. En effet, pas de propagande mieux huilée que celle du Grand Remplacement – le GR – fantasme de l’écrivain Renaud Camus, à qui l'on doit par ailleurs Tricks, un grand livre sur l'homosexualité masculine.
Qu’un membre du site fasse preuve de compassion, nuance les propos obscènes de certains, il est tout de suite suspecté d’être un agent secret de la "gauchiasse", une "socialope". « Que fais-tu sur ce blog ? » lui retourne-t-on sur-le-champ. « Pour en être », il faut d’abord avoir montré la patte blanche de la haine.
Le post rêvé, c’est celui qui permet le cumul de miles, le strike, le « grand chelem » : ainsi, dans l'un de ses commentaires, Mao-meeh évoque au sujet d’Agnès Saal, l’ex présidente de l’INA, « une triple combo communautariste, femme, arabe, juive », avant d’ajouter un peu déçu(e) : « Dommage, elle a un fils, elle n’a donc pas le grand chelem », sous-entendu, « elle n’est pas lesbienne », comme si l’un empêchait l’autre.
Quelques jours plus tard, à la suite d'une vidéo assortie d’un article postée par Métronews et titrée : « Pédale blanche » un couple gay violemment agressé dans un bar new-yorkais», le Glaive se déchaîne : « Des noirs, des pédés, des negwes, des tarlouzes, deux ou trois pouffiasses, un bar à merdes où ça part en couilles de zébu, finalement on se branle littéralement de leurs petits règlements de compte entre tafioles et bambouls affranchis » avant de rajouter à l’attention de Calimero13, choqué par la nouvelle parce que lui-même est homosexuel : « Je ne suis même pas homophobe malgré certains de mes coms, j‘ai des potes de la jaquette mais je suis fatigué du vivre ensemble et de toutes ces associations qui nous vendent l’homosexualité comme normalité »
« La jaquette », ce vêtement qu’on aime pour sa finale en –ette et parce que fendu il laisse voir les fesses. Et le Glaive, au pseudo si phallique, qui ignore sans doute que dire c’est autant un contenu qu’une manière de le faire – mais c’est vrai les manières, c’est pour les tafioles et les lesbo-féministes.
Dans les basses fosses du Net, fosse d’aisance des planqués-derrière-leurs-écrans, emprisonnés dans leurs certitudes manichéennes, où le Bien et le Mal ont une couleur de peau – blanche – une religion – catholique – une orientation sexuelle – hétérosexuelle - et pour seule identité celle du "Français de souche", une intervention a retenu mon attention.
C’est Maye qui écrit, en réponse à un commentaire tournant en ridicule les féministes, accusées de légiférer sur l’orthographe et le genre des noms plutôt que de lutter aux côtés de leurs sœurs prisonnières de Boko Haram : « Hé oui ! Déjà du temps de Molière, les Précieuses ridicules ! Et pendant ce temps, Arnolphe enferme Agnès ! »
Parlons-en de l'Arnolphe de Molière, qui se rebaptise M.de la Souche, le barbon de l’Ecole des femmes. Le stéréotype de l’homme enraciné dans ses vérités. Celui qui sait tout, qui a tout prévu. Pour ne point risquer d'être trompé, il a choisi une femme au berceau, l’a fait élevé au couvent et s’apprête à l’épouser, ignorante d’elle-même et de ce qu’est l’amour. Précautions inutiles puisqu’ Agnès épousera à la fin de la pièce le jeune Horace.
La souche, ce qui demeure d'un tronc, son reliquat. Plus rien ne pousse, ne grandit, ne s’élève. Plus ridicule que tragique, Arnolphe fiché dans ses traditions, n'évolue pas. A la fin, alors que tout est perdu pour lui, il tonne encore de renvoyer Agnès au couvent. Borné, entiché d’idées fixes comme son alter ego de la fable de La Fontaine, le chêne. Le roi des arbres qui se rit du roseau frêle. Trop ancré dans sa majesté. A la première tempête, enraciné profond, il rompt. Si ensouché. Si peu souple.