Le MLF : Mouvement lesbien français ?

Où est né le MLF - Mouvement de Libération des Femmes ? Pour certaines rue de Vaugirard, en 1968, dans un studio prêté par Marguerite Duras ; à l’université de Vincennes en 1970  pour d’autres ; la même année, le 26 août,  sous l’Arc de Triomphe pour la dizaine d’entre elles à y avoir déposé une gerbe de fleurs  en l’honneur du cinquantième anniversaire du droit de vote des femmes aux États-Unis. Une chose est sûre : c’est que tout a commencé en chansons et slogans. « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme » affiche la banderole ceignant le bouquet commémoratif. D’autres, hissées haut et fort, claquent au vent mauvais comme drapeaux de flibustiers. « Un homme sur deux est une femme ». En tête de son numéro triple, la revue Partisans titre « Libération des femmes : année zéro ». La Révolution française a laissé leurs aïeules sur le pavé ; la révolution sexuelle ne leur a pas donné les moyens de l’amour libre. La prise de l’Arc de Triomphe marque l'entrée des femmes dans une nouvelle ère.

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  • "Sisterhood is powerful"

Une révolution qui s’ouvre sur un canular ne peut être que joyeuse. Parties une dizaine de l’Arc de Triomphe , elles seront bientôt des milliers. Le principe de l’égalité des sexes a beau être  inscrit dans le préambule de la Constitution depuis 1946, ces sœurs Anne ne voient rien venir. Enchaînées aux grilles de l’ancienne prison de femmes de la Petite Roquette, elles pavoisent : « Prostituées, voleuses, avortées, ménagères, filles-mères, homosexuelles, hétérosexuelles, militantes, nous sommes toutes des sœurs ». « Sisterhood is powerful ». Un   cri de ralliement emprunté  au Women’s Lib qui ont jeté les bonnets de leurs soutiens-gorge par-dessus les moulins.  Des moulins à parole que personne ne pourra plus arrêter. Interdites aux hommes, les manifestations  du MLF réunissent des femmes chantant en chœur toutes semblables dans leurs différences. « Notre ventre est à nous » / « mon corps est à moi ». Un corps collectif constitué d’une multitude de voix singulières. Les précieuses new age sont passées des ruelles aux grandes avenues. Aux premiers jours de janvier 1971, l’oppresseur à combattre est balancé par le journal underground « Actuel ».  « A bas la société mâle ».  Un mot d’ordre emprunté à  un mouvement sans cheffe ni manifeste, baptisé MLF par la presse férue d’acronymes.

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  • MLF : Mouvement lesbien français ?

L’acronyme MLF aurait-il pu être celui de Mouvement Lesbien Français ? La photographe Catherine Deudon, qui à l' époque aimerait bien se rallier au groupe, s’inquiète de savoir si elle ne risque pas d’être la seule lesbienne du mouvement. Christine Bard, historienne à l’université d’Angers et présidente d’Archives du féminisme, n’en fait pas un secret : « Presque toutes l’étaient [lesbiennes|… Le mouvement dans son ensemble fait silence sur ce qui est encore un tabou. » La politologue Françoise Picq, qui a mené une enquête sur l’orientation sexuelle des femmes entrées au MLF entre 1970 et 1972 a révélé qu’un tiers des 120 femmes étaient homosexuelles, un tiers hétéro, un tiers bi.

A l’époque pourtant, il est temps de construire une « femme nouvelle ». L’Eve future ne peut plus être un jouet sexuel aux mains des hommes. On ne pactise plus avec l’ennemi. Et tant pis si pour cela, il faut "se convertir" à l’homosexualité, c’est la moindre des violences au regard de celles imposées par des siècles de domination patriarcale. Il n’en reste pas moins qu'au sein du MLF, de l’homosexualité à l’hétérosexualité, toutes les postures se trouvent : « Certaines bien sûr sont ouvertement « homosexuelles », rappelle Frédéric Martel. Pour d’autres, le lesbianisme est une attitude choisie en situation, selon le mot de Simone de Beauvoir : il est un moment ponctuel de subversion contre le pouvoir mâle, une cure de désintoxication au moins provisoire. Certaines se désolent de n’être pas attirées par leurs semblables, restent indéterminées et ont des pratiques fluctuantes. D’autres aiment une femme mais ne veulent pas entendre parler d’une « identité lesbienne » : la relation affective est un acte de libération à l’égard du mâle spoliateur et a valeur de représailles (…) Et puis il y a les « hétéros paumés », qui se querellent avec leur mari, le forcent à participer aux tâches ménagères, formant ces étranges « couples gauchissantes » qui, souvent, ne survivront pas à la libération des femmes. »

Avant d’être lesbiennes, les militantes du MLF veulent être reconnues comme des femmes, et se défaire des préjugés attachés au féminisme, faisant d’elles des « mal baisées ». Pour la féministe américaine Ti-Grace Atkinson, qui va influencer le mouvement à sa  création, nul besoin de coucher avec des femmes  pour se revendiquer lesbienne. Se dédier corps et âme au militantisme féministe suffit. Ainsi, ne naît-on pas lesbienne mais le devient-on, selon l’acception politique du terme. « Etre dans un mouvement qui exclut les hommes constitue un acte homosexuel, au moins idéologiquement écrit Monique Wittig. Le lesbianisme n’est pas seulement une pratique sexuelle, c’est aussi un comportement culturel. »

Cette vision du lesbianisme crée un fossé entre les lesbiennes de toujours et celles qui le sont devenues en adhérant au mouvement,  des « parvenues » de l’homosexualité. Quand elles découvrent la lesbophobie à l’œuvre dans la société française, c'est la confusion : selon Christine Bard,  « certaines déconstruisent leur idéalisation de l’homosexualité, gèrent leur désenchantement sur le divan, d’autres reviennent à des pratiques hétérosexuelles.» De leur côté, des hétérosexuelles féministes déplorent la "dictature stalinienne" du MLF: en 1971, un tract des Femmes mariées s’inquiètent de savoir si "tous les maris seraient ces tyrans impitoyables qui nous violent tous les soirs et finissent par nous plaquer ?" Il n’empêche que la même année, après avoir interrompu l’émission de Ménie Grégoire, traitant de l’homosexualité comme « un douloureux problème », ce seront bien des militantes du MLF qui seront à l’origine du FHAR, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire…

                                                                                                (à suivre)