Une fois encore, Robert Mugabe, le président du Zimbabwe, s'est illustré en exposant lors de la 70e assemblée des Nations-Unies sa vision des droits LGBTQI : "Nous refusons également les tentatives de prescrire de nouveaux droits qui seraient contraires à nos valeurs, normes, traditions et croyances. Nous ne sommes pas gays !" L'ONU est habituée à ce genre de sortie définitive. En 2007, à la même tribune, c'est Mahmoud Ahmadinejad, le président de la république islamique d' Iran, qui proclamait : "In Iran we don't have gays like in your countries."
« Nous ne sommes pas " / " We don't have " : à chaque fois, le même usage du pronom "nous", le pronom des moralistes, le pronom le plus politique de la langue française, le plus politique parce le plus ambigu. Quand Robert Mugabe et Mahmoud Ahmadinejad disent « nous », au nom de qui parlent-ils ? Nous, les Zimbabwéens, nous les Iraniens – peuple dont JE suis ? "Nous" c’est-à-dire les partisans du parti que JE dirige ? "Nous », les homophobes, homophobes comme JE suis depuis mes premières leçons de catéchisme avec les missionnaires venus évangéliser la Rhodésie ? "Nous", ce "nous" de majesté, la Majesté que JE suis? Le point commun de tous ces « nous " ? Ils portent tous le masque d'un « je », un MOI gonflé à l’hélium de la Toute-Puissance. Parler d’une seule voix, d’un seul homme, d'un seul "nous", n'est-ce pas le fantasme de tous les despotes ?
Avant tout, ce "nous" cherche à réfuter l'existence d'un arrière-monde, un monde en marge, minoritaire, clandestin.
Surtout ce "nous" trace une frontière de plomb avec le "vous", "vous" qui n'êtes pas nous, le "non-nous" voué au déni, à la négation. Vous les assis-devant, vous, tous des gays. Sinon pourquoi chercheriez-vous à légiférer sur leur vice ?
La formulation de Mahmoud Ahmadinejad est limpide : "Nous n'avons pas de gays comme dans vos pays." L'homosexualité, c'est le vice de l'autre, de l'étranger, de celui qui n'est pas "nous". Et qu'importe si personne ne sait qui se cache derrière ce "nous".
La langue française a usé en son temps de périphrases xénophobes pour orner ses discours homophobes. Au XVIe siècle, quand le royaume de France lorgnait sur Naples et Milan, qu'il croyait devoir lui revenir, l'homosexualité était "le vice italien" ; au XVIIIe siècle et au XIXe siècle le vice anglais ; au début du XXe siècle, le vice allemand. Avec Robert Mugabe et Mahmoud Ahmadinejad, l'homosexualité est pour le premier le vice des blancs - argument qui a justifié longtemps la non-prise en charge des malades du SIDA - et pour le second le vice occidental. Avec ces "nous" derrière lesquels semble se tenir au garde-à-vous tout un peuple, nos rhéteurs de mauvaise foi donnent l'illusion épique de l'unanimité, d'un grand nous soudé et indissociable.
Ça ne prend pas. La preuve, l'on rit. A chaque fois, c'est immanquable. Et l'illusion épique devient illusion comique.
Les rires sanctionnent la défaite du discours homophobe. Des gays et des lesbiennes, il y en a partout. De tous les pays, de toutes les couleurs, de toutes les religions. Mugabe le sait bien lui qui pourchasse depuis la fin des années 1990 l'association du GALZ (Gays and Lesbians of Zimbabwe) et qui a remplacé en 1987 le président dont il était premier ministre, Canaan Banana, emprisonné deux ans pour crime de sodomie.
Si au Zimbabwe il n'y a ni gays ni lesbiennes, c'est la faute du code pénal, et surtout de l'article 377, hérité du code pénal indien et apporté dans les bagages des colons de l'Angleterre victorienne. Il y a vingt ans, Mugabe disait déjà : « Les lesbiennes et les gais sont inférieurs aux chiens et aux porcs, ils ne méritent aucun droit, ils représentent une forme de décadence occidentale sans lien réel avec l’authentique culture zimbabwéenne. »
Une fois encore Mugabe se trompe : l'homophobie n’a à voir avec une prétendue «africanité». Elle remonte à l’époque où le Zimbabwe s’appelait la Rhodésie, colonie anglaise de 1895 à 1920. Les Anglais sont partis, l’homophobie est restée. Retrouver ce que fut "l'authentique culture zimbabwéenne" passerait par la dépénalisation de l'homosexualité. Mais Mugabe, shouté aux prêches des missionnaires et aux discours du leader kenyan Jomo Kenyatta qui, dès 1938, affirmait que l’homosexualité était inconnue des populations africaines, est sûr de lui. Le masque du "nous" est surtout une manière pour lui de souffler un écran de fumée sur ses agissements : les morts du nettoyage ethnique au Matabeleland, les morts de famine, la diaspora des siens en Afrique du sud et dans d'autres pays d'Afrique australe, les assassinats de ses opposants politiques - on se souvient de la mort mystérieuse de Tongogara en 1979, la mise à sac de l'économie et de l'agriculture. Les exclus, les exilés, les massacrés du "Nous".