Du Gay Voyage au Madrid friendly

Dali, un espagnol, disait de la gare de Perpignan qu’elle était le centre cosmique de l’univers. La gare d’Atocha, au nord de Madrid, est plus modeste. Elle se contente d’être une gare pour tous. Pour preuve, les cartes de la ville distribuées gratis à côté des toilettes publiques. On ne peut pas les manquer. Une carte pour le tout-venant, l’hétéro, et une carte pour l’autre, le pas-comme-les-autres (mais quand même le bienvenu), l’homo. Si je parle au masculin, c’est que la fameuse carte pour le pas-comme-les-autres est estampillée de la photo d’un jeune garçon toutes dents au vent, les mains posées de chaque côté d’un casque audio, la barbe naissante, la brosse esquissée, les yeux rieurs dans le cadre de ses lunettes. Rien n’indique qu’il soit homo me direz-vous… C’est vrai, il est juste heureux de vivre. Sauf que la carte gratis, Neomap, affiche d’emblée la couleur : Madrid friendly, flanqué d’un rainbow flag.

Sur l’autre carte, une femme. Elle aussi est gaie. Photographiée de profil, un éventail déplié dans la main gauche. Une lesbienne ? Ben non. Le rainbow flag a disparu. Madrid n’est plus friendly.

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Au dos du dépliant à l’adresse du pas-comme-les-autres, une publicité pour Laz Rozas Village. Un concept international. Paris aussi a son village. A Serris, en Seine-et-Marne. A Madrid, plus d’une centaine de boutiques sont enclavées entre la Calle Tracia, la Calle Ramón y Cajal et la Calle Camillo Jose Cela. Pas loin du Musée de la sélection espagnole de football. C’est connu, les pédés, ils aiment la mode.

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Le foot, c’est pour les autres, ces gros beaufs d’hétéros qui voyagent avec leurs shorts et leurs gosses. Du coup, au dos du dépliant touristique qui leur est dédié, une publicité pour le musée de cire de Madrid avec sa statue phare, la statue du joueur de football Cristiano Ronaldo. C’est pour ça qu’elle est gaie notre jeune femme à l’éventail. En voilà une bonne idée de sortie pour toute la famille. Chéri et les gamins vont adorer et puis Cristiano Ronaldo, il est bien gaulé. Même en cire.

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Ouvert côté face, le dépliant propose en haut à gauche dans un encart des adresses de musées (48 pour être précise), de restaurants (8), de tours operator (2), de peñas flamenca (2), de magasins (2) et de rooftop (1). Ça, c’est la version hétéro.

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Pour les deps, les différentes rubriques sont regroupées en une seule, chapôtée de sigles. De 15 adresses on est passé à 11, 4 seulement en commun avec le dépliant pour les hétéros : deux restaurants, le marchand d’espadrille (que je n’ai jamais trouvé) et le rooftop. Ont disparu les centres commerciaux (trop cheap), les peñas (le flamenco, c’est pas pour les pédés) et les tour operator, remplacés par les boîtes de nuit, les théâtres, et un espace gigantesque dédié à la gastronomie, le Platea. Exit aussi les publicités pour les boutiques de souvenirs et pour les billets touristiques. A la place, une pub pour le pass IVEA permettant d’accéder à de nombreux événements culturels à tarif réduit. Le garçon de la pub est toujours souriant, toujours barbu avec de jolies bouclettes. On connaît même son nom – Carlos - et son métier – arquitecto. Au passage, on appréciera le claim pas lourdaud pour deux sous : « Soy espectador activo. Y tú ? (C’est Carlos qui parle. En espagnol. Une traduction ne me semble toutefois pas nécessaire)

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Pour résumer, l’hétéro est beauf, le pédé raffiné et cultivé (La lesbienne, on ne sait pas, je rappelle qu’il n’y a pas de dépliant pour elle)

Côté pile, c’est plus drôle encore. Il n’y a plus de doute possible. L’hétéro vient à Madrid pour bouffer devant des spectacles de flamenco et visiter l’Espagne en montgolfière. L’homo y vient, lui, pour aller chez le coiffeur, danser de minuit à midi au milieu de mecs bodybuildés et de drags. Le reste du temps, il a son quartier, Chueca, et son cornac, le site visitchueca.com.

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Le gay, à force d’être visé, ciblé, segmenté est devenu un cliché. L’apostille « gay-friendly », à l’origine humaniste, amicale et accueillante est devenue intéressée et grossière.
Au gay-friendly je préfère le « gay voyage », tel que l’évoquait Guy Hocquenghem au début des années 1980. Dans un bref prologue, « ce piéton de la nuit », inspiré et inspirant, met en garde l’homme pressé, le consommateur d’existence : « Je n’ai pas voulu que ce guide homosexuel fût simplement le recensement des lieux pédés des grandes métropoles (…) Un cinéma à Rio ou à Paris, m’ont souvent paru plus amusants, plus émouvants qu’une discothèque ou un bain de vapeur. »

le Gay Voyage