Le 23 avril 2013, l’Assemblée nationale adoptait par 331 voix contre 225 le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. L’engagement 31 du programme du candidat Hollande devenait le 17 mai 2013 la loi n°213-404, loi appelée souvent « la loi Taubira », loi dite aussi du « mariage pour tous ».
« Pour tous ». Dans une république qui a l’égalité pour devise et le mariage d’amour pour gage de bonheur, la précision apportée par le groupe prépositionnel était capitale : il s’agissait d’en finir avec une institution inégalitaire, réservée aux couples formés d’un être de sexe masculin et d’un être de sexe féminin. Ainsi mettait-on un bonnet arc-en-ciel au vieux dictionnaire qui n’avait pas attendu l’Assemblée pour enregistrer, au grand dam de Laurent Wauquiez et d’Hervé Mariton, les mutations du code Civil
Avec l’expression de « mariage pour tous », il s’agissait aussi d’en finir avec celle de « mariage gay ». Pas question pour les partisan-e-s du « mariage pour tous » de voir les débats être restreint à l’examen d’un sous-mariage, forme d’union civile qui laisserait de côté les questions de l’adoption et de la filiation. Enfin, l’expression rappelait trop la périphrase péjorative utilisée en 1999 par les adversaires du PACS pour le discréditer.
Peut-être aurions dû nous méfier d’une loi numérotée 404. 404 file not found. Car ce que nous croyions obtenir avec cette loi n’y était plus tout à fait. Ou pas encore.
A l’origine, le projet prétendait étendre aux couples de même sexe les dispositions en vigueur du mariage, de la filiation et de la parenté. De fait l’adoption a été ouverte à tous les couples mariés. Mais, bien que la PMA soit le mode d’accès à la parenté le plus fréquent pour les homosexuels-les, et que la Cour de cassation ait validé les adoptions d’enfants conçus de cette manière à l’étranger, son accès en France n’est encore réservé qu’aux couples hétérosexuels.
Ainsi tous les couples mariés sont-ils égaux mais certains sont plus égaux que d’autres.
En vérité, toute cette histoire est plutôt comique. Et c’est bien le seul point commun que je me suis trouvée jusqu’à présent avec les militants de la « manif pour tous » - abrégée en LMPT pour singer l’acronyme LGBT. Ce collectif d’associations opposées au « mariage pour tous », défilant en direction du Champ-de-Mars avec des enfants brandis comme des porte-drapeaux, des chapelets ou des boucliers, l’avait compris comme moi : Se marier, c’est la garantie d’obtenir « une situation juridique durable afin d’organiser la vie commune et de préparer la création d’une famille ». « Une famille », c’est-à-dire selon la définition du mot, « une communauté de patrimoine et de renommée dont le but est de constituer de façon durable un cadre de vie commun aux parents et aux enfants pour leur éducation. » Si certains militants disaient ne pas être opposés à l’union de personnes de même sexe, ils ne voulaient pas entendre parler de parentalité pour tous, fermant les yeux sur une réalité effective dans de nombreux couples homosexuels. Au nom d’une conception traditionnelle de la famille, ils plaidaient à l’unanimité en faveur d’une disjonction entre l’union et l’accès à la parentalité.
A l’heure où les homosexuel-les sont contraints de se marier s’ils ne veulent pas élever leurs enfants « hors-la-loi » quand les couples hétérosexuels peuvent ne jamais se marier sans mettre en péril ni la reconnaissance ni la sécurité des leurs, il est temps d’avancer. Le mariage pour tous, et c’est heureux, n’est que la première étape d’une révolution plus vaste, celle de la famille et de la filiation. L’amendement déposé par le député Erwann Binet, rapporteur du texte sur le mariage pour tous, prévoyant d’étendre la possibilité d’adopter aux couples pacsés ou vivant en union libre, nous l’a rappelé aujourd’hui.
En attendant je me souviens. Le 23 avril 2013, au soir d’une journée de travail, nous nous laissions traîner jusqu’à la place Tibourg par Nathan qui venait d’entrer en sixième. Il faisait beau. Les cafés et les restaurants étaient pleins. De longues tablées s’alpaguaient. Ni triomphalisme ni drapeaux. Mais les bons mots et les rires comme des fusées. Par pudeur, on se réjouissait d’avoir obtenu le droit de divorcer. A côté de nous dînait une famille : les enfants dessinaient sur le papier de la nappe, papa et maman les renseignaient sur les raisons de la liesse générale. Avec bienveillance et tendresse.
De retour à la maison, sur une chaîne d’infos en continu, des hommes et des femmes s’accrochaient aux grilles de l’Assemblée nationale, la bave de l’invective aux lèvres. Des images d’une France divisée plutôt que d’une France réunie, c‘était sans doute plus vendeur. La semaine suivante, Nathan de retour chez son père, demandait à y retourner. Là-bas, sur la place où tout le monde était heureux.