"Chez soi", de Mona Chollet : comment réinventer le logement ?

Maisons appartenant au Jardin des Plantes, à Paris.

Coquille ou palais, cabane ou nid d'amour, chambre ou chalet ...  "Chez soi", signé de la journaliste du Monde diplomatique Mona Chollet, est d'abord éloge du refuge, et réhabilitation du mot "casanier", si injustement décrié.

"Je suis", écrit drôlement Mona Chollet, une journaliste casanière: voilà un oxymore embarrassant. Je suis à peu près aussi crédible qu'une charcutière végétarienne". Pourtant, comment ne pas voir à quel point elle a raison ? Comment reprendre vie et énergie sans un intérieur qui ressource et protège ? Et pourquoi la question essentielle du logement est-elle si souvent éclipsée par d'autres plus mineures?

Irriguée de mille références, qui vont des légendes de l'enfance à la sociologie savante, et de la créativité du réseau social Pinterest aux revues d'architecture, cette "Odyssée de l'espace domestique" (sous-titre du livre) séduit par son érudition. Elle frappe plus encore par la pertinence d'une réflexion incitant à réinventer le logement. Retenons-en, comme autant de lignes de force, ces injonctions :

Exiger

Avouons-le : nos logements d'adultes ressemblent rarement aux rêves de notre enfance. Quels bois alimentaient nos songes ? Dans un beau chapitre, Mona Chollet revient sur les contes qui les nourrissaient (ah la gourmande maison en pain d'épices de Hansel et Gretel ...)  et plus encore sur les vacances qui permettaient d'explorer les granges, de fouiller les greniers, d'habiter des huttes, ou de s'approprier des mezzanines.

La maison, selon la belle expression du poète palestinien Mahmoud Darwich, n'est-elle pas "une chambre d'écoute de ce que nous avons de plus profond"? Et l'adieu aux fantasmes doit-il signifier renoncement à tout logement décent ? En aucun cas, estime la journaliste. Parce que le logement est un droit humain, un droit tout court, et le mal-logement un scandale qui touche des millions de personnes en France en 2015 (voir le 20e rapport de la Fondation Abbé Pierre).

La situation, martèle l'essayiste, est pire encore pour les jeunes, qui n'ont pas les moyens de payer le loyer d'un appartement au coeur des villes. Sans parler du sort dramatique de l'Europe du Sud : "51,6% des Grecs ayant entre 25 et 35 ans vivent chez leurs parents, de même que 46,6% des Italiens, 44,5% des Portugais et 37,2% des Espagnols et, non, la culture n'explique pas tout", rappelle Mona Chollet, en citant Rue 89 ("Vous habitez chez vos parents ? La carte d'Europe qui explique tout").

Recenser

Si la place n'est pas infinie dans ces métropoles désignées par l'économiste Philippe Askenazy comme seul espace de croissance, il n'est nulle part écrit, non plus, qu'il faille se contenter de rien.

Mona Chollet pointe avec subtilité la façon dont, désormais, les "tiny houses" (maisons minuscules) sont présentées comme des paradis et comment les solutions de rangement "malin" sont vantées à longueur de colonne. Le clic-clac est promu lit idéal et une pièce se fait tour à tour cuisine, chambre ou salon, au plus grand bonheur, paraît-il, des habitants. Faut-il oublier que même les grandes villes recèlent des espaces insoupçonnés ?

A Paris, 193 000 logements, soit 14% du parc immobilier, "correspondent à des résidences secondaires, logements occasionnels ou bien vacants", souligne Mona Chollet, d'après un chiffre exhumé par Slate. L'Europe, dit-t-elle, encore, "compte 11 millions de logements vides, soit deux fois plus que de sans-abri", selon The Guardian.

Partager

Comment changer les choses ? Chez nos voisins suisses, dont on souligne plus volontiers les coffre-forts que les expériences alternatives, des jeunes avaient monté, en plein centre d'un parc de Lausanne, une maison de paille qu'ils avaient habité quatre mois (avant qu'un incendie criminel ne mette fin à l'expérience). Manière d'exiger que le logement leur devienne accessible, mais aussi de montrer que l'on peut trouver des espaces nouveaux et partagés.

Car refuser les "tiny houses" ne signifie pas refuser le principe de réalité. Pourquoi ne pas s'offrir à plusieurs des surfaces plus généreuses ? Cité par la journaliste, l'architecte Christopher Alexander préconise ainsi la formation de "larges maisonnées composées de plusieurs ménages de divers types : couples avec ou sans enfants, célibataires, retraités (...) Des logements indépendants, mais voisins", dont les espaces partagés (buanderie, salle de fête, salle de gym, salle de jeux pour les enfants, terrasse, chambre d'amis ...) permettent d'importantes économies d'échelles.

SI l'on entend peu parler de cet habitat collaboratif, il est pourtant réalité. "En France, il offre une structure juridique qui laisse toute latitude aux habitants sur l'aménagement, la gestion et la jouissance de leur cadre de vie, tout en interdisant la spéculation. Il s'est particulièrement développé dans les pays nordiques - 18% du parc immobilier en Suède, 13% en Norvège, mais aussi en Suisse (8% et jusqu'à 20% dans une ville comme Zurich)"  relate Bastamag .

Un moyen, souligne Mona Chollet d'obtenir un confort collectif beaucoup plus grand, par le partage d'infrastructures ... ou la garde des enfants. Dans la discrétion, le phénomène se développe en France. Toujours sur Bastamag, la journaliste Agnès Maillard raconte comment, "au coeur de ruelles médiévales, des habitants rénovent un lieu hors du commun pour vivre autrement".

Participer

Dernier principe enfin : l'architecture et le logement sont choses bien trop sérieuses pour être confiée aux (seuls) architectes. Loin du tape à l'oeil et des tours sans fin de Dubaï ou Hong-Kong (d'ailleurs inhabitées à plus de 30%) l'essayiste évoque ces innovations insuffisamment connues, qui répondent à des vrais besoins.

Connaissez vous Shigeru Ban, cet architecte japonais inventeur, après le tsunami de 2011 dans son pays, d'un "système de rideaux en toile fixés sur des tubes en carton, diffusé à mille huits cents exemplaires," qui a permis d'offrir un minimum d'intimité à ceux qui avaient trouvé refuge dans des gymnases ?

Connaissez-vous, surtout, le Rural studio, aux Etats-Unis, qui a séduit jusqu'à l'Oprah Winfrey Show ? Les maisons (150 réalisations en vingt ans) y sont construites par des étudiants en architecture, tenus d'y habiter un temps (manière très sûre d'avoir un retour immédiat des habitants sur les malfaçons ou les erreurs). Le cahier des charges tient compte des désirs et besoins exprimés par les clients désignés par les services sociaux. Une femme qui souhaitait une maison pleine de fenêtres et aux hauts plafonds pour "conjurer sa claustrophobie" a ainsi vu ses rêves exaucés. Elle a appelé son nouveau domicile "la maison des miracles".

Le livre de Mona Chollet regorge de pistes miraculeuses pour un logement du XXIe siècle digne de ce nom. On ne saurait trop inciter à les explorer.

-> Chez soi, une odyssée de l'espace domestique, Mona Chollet (La Découverte, 17 euros)

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : logement