L'auteure de La Bicyclette Bleue est décédée jeudi à Paris à 78 ans. Portrait en quatre points d'une romancière qui aimait tirer l'aiguille, brosser des sagas et braver la censure, avant de poser les armes :
Point de rousseur
"Je suis rousse, et alors ?" Le cri de guerre d'une rousse sublime dans une pub de bière, Régine Deforges l'a repris à son compte. En mettant en oeuvre la solidarité poil de carotte jusqu'à claquer la porte du Femina en 2006, après exclusion d'une autre rouquine, Madeleine Chapsal (celle-ci avait eu le tort de médire, dans un livre, des délibérations du jury littéraire).
Mais surtout en dotant Léa, son héroïne de La bicyclette bleue (10 millions d'exemplaires vendus selon Le Point) d'une chevelure flamboyante, en triple signe de singularité, de non-conformisme et de liberté. A l'écran, la rousse Léa fut incarnée par Laetitia Casta (dont les mèches tirent un peu sur le blond, mais ne chipotons pas).
Point de censure
En 1968, Régine Deforges fait une entrée fracassante en littérature ... comme éditrice. L'Or du temps, la petite maison qu'elle a créée l'année précédente, publie sous le nom d'Irène une nouvelle érotique de Louis Aragon, Le Con d'Irène. "Cet acte d’autocensure, le seul que j’aie jamais fait, n’a pas empêché la saisie du livre, le 22 mars 1968", a-t-elle raconté au Monde. "On lui explique alors que tous les livres érotiques qu’elle publiera seront saisis. Et c’est le cas", poursuit le journal.
De ce 22 mars, l'histoire retiendra moins cet acte de censure gaullienne que le début de l'occupation de la faculté de Nanterre par "des enragés" menés par Daniel Cohn-Bendit (encore un rouquin). Dès janvier, Dany le Rouge, rappelle Le Figaro, interpelle l'auteur d'un rapport sur la jeunesse d'un virulent "400 pages sur la jeunesse, et pas un mot sur la sexualité !". Car Mai 68 fut - aussi, surtout ?- une révolution sexuelle. Mine de rien, Régine Deforges a contribué à l'étincelle.
Point de croix
Régine Deforges s'est engagée à gauche. De la résistance à l'Indochine et de l'Algérie à Cuba, les hauts faits de la décolonisation et les guerres d'indépendance du XXe siècle scandent les dix tomes de La bicylette bleue.
Pour écrire cette saga, elle avait rencontré, rapporte Le Point, "des personnalités comme le général Giap, le vainqueur de Diên Biên Phu, ou les compagnons d'armes de Che Guevara. "Un jour, un ancien ministre de De Gaulle m'a dit : Pour une femme, vous ne dites pas de conneries sur la guerre", relatera-t-elle avec fierté (ne relevons pas cet éloge paradoxal).
Son goût de l'épopée ne l'empêchait pas d'aimer coutures, tissus et canevas. Au point de publier en 1986 avec une réac assumée et fière de l'être, Geneviève Dormann, Le livre du point de croix. Médiatique, le duo de choc fut convié à faire tapisserie chez Bernard Pivot (où toutes deux emmenèrent leurs broderies).
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Point de fin
Née le 15 août à Montmorillon, dans la Vienne, Régine Deforges s'est donc éteinte en ce début de printemps, des suites d'une crise cardiaque.
On enterrera sous les roses et les hommages l'éditrice jadis sulfureuse de Saint-Germain-des-Près, et la romancière à succès boudée par la fine fleur de la critique littéraire. "En France, on ne reproche pas à ceux qui vendent des canons de gagner de l'argent, mais pour un écrivain, c'est comme si c'était scandaleux", se plaignait-elle (dans Le Point). La scandaleuse, c'est Josyane Savigneau (dans Le Monde) qui en parle le mieux, restituant l'image d'une femme qui s'est affranchie très tôt des contraintes.