Il faut attendre la page 379 pour sursauter à la lecture du dernier livre de Rama Yade, Carnets du pouvoir 2006-2013.
La scène se passe le 13 août 2010, pendant les Championnats d'Europe de natation. La ministre est interrogée sur sa nage préférée. "J'hésite. Une ministre des Sports ne peut tout de même pas avouer qu'elle ne sait pas nager ??? Avec toutes ces piscines que j'ai inaugurées ? Tous ces enfants à qui j'ai fait la leçon sur l'importance de savoir nager ? Avouer là, en direct que je ne sais pas nager ? Pas possible. Alors ...ma réponse fuse : "Le papillon !"
Dommage que les 435 autres pages ne soient pas aussi saisissantes. Est-ce voulu ? Ces Carnets du pouvoir sonnent surtout comme un (très long) aveu d'impuissance. Et si le titre rappelle celui du livre de Bruno Le Maire sur le quinquennat Sarkozy (Jours de Pouvoir), il y manque le fond. La réalité du pouvoir.
Mais laissons à Rama Yade le bénéfice de la franchise. L'auteure le confesse : ces pages, quasiment "un journal intime ", n’avaient "pas vocation à être publiées". Puisque le mal est fait, qu'en retenir ?
L'ego de l'auteur
Les cent premières pages – celles de la campagne présidentielle 2006-2007- sont stupéfiantes de narcissisme candide. A 30 ans, la secrétaire nationale de l'UMP rencontre un à un les journalistes politiques de la presse parisienne. Et elle égrène avec ravissement ses entretiens avec Nicolas Domenach (de Marianne), Judith Waintraub ( du Figaro), Jean-François Achilli (France Inter) ou Michael Darmon (à l'époque à France 2 et aujourd'hui son éditeur).
A chaque page ou presque, elle s'émerveille de tel article, tel portrait élogieux qu'elle a longtemps attendu (dans Le Monde) ou de tel "super papier" signé de l’écrivain Pascal Bruckner, comme autant de titres de gloire.
Et elle a raison puisque cette montée en puissance médiatique s'avère payante. Nicolas Sarkozy élu, elle est nommée Secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des droits de l'homme, sous la tutelle de Bernard Kouchner.
Une fois ministre, se lasse-t-elle des journalistes ? Elle en parle moins, mais se préoccupe ouvertement des sondages. Et d'une cote de popularité qui semble lui tenir lieu de bilan : "9 février 2009. Franz-Olivier Giesbert, patron du Point, m'appelle . J'ai l'intuition de ce qu'il va me dire. Et c'est effectivement ça : je suis n°1 du prochain baromètre Le Point/Ipsos. Tempête dans ma tête. Les Français réparent l'injustice que je subis depuis plusieurs mois." (page 253).
Des rapports ambigus avec la presse
Ces Carnets du pouvoir dévoilent aussi les rapports ambigus entre la jeune secrétaire d'Etat et une presse qui lui est plutôt favorable.
Un exemple ? Quand son ministre de tutelle Bernard Kouchner déclare au Parisien avoir "eu tort de demander un secrétariat d'Etat aux droits de l'homme", elle reçoit, dit-elle, un flot de SMS de soutiens, le 10 décembre 2008. Y compris de journalistes ("ras-le-bol des machos transfuges. Je vous embrasse", lui écrit une éditorialiste de Elle, citée parmi bien d'autres).
A l'inverse, Rama Yade avoue (page 266) avoir fait pression sur des journaux : "J'en profite ...pour empêcher la parution d'un article qu'Anne Rovan prévoyait d'écrire sur moi et Sarko, qui s'annonçait saignant. Etrange de se battre contre un journal (Le Figaro) censé me soutenir...".
L’ego des ministres (de tutelle)
70% des Français - plus de deux tiers- n'ont pas confiance dans la politique, selon une enquête LH2 du Nouvel Obs publiée en avril.
Pourvu que le tiers restant ne lise pas ces Carnets, où la politique brille par son absence, mais où s'étalent à longueur de page les querelles d'egos. Notamment avec les ministres de tutelle de Rama Yade. Celle-ci définit l'enjeu page 109: "Kouchner ne veut pas que j'existe car il craint la concurrence médiatique. Il faut jouer l'Elysée."
Quant aux rapports avec la ministre des sports Roselyne Bachelot, ils sont mauvais dès le départ : "Elle avait dit à mon sujet dans L'Express en 2007, avant même que je ne sois véritablement engagée dans la politique : 'Elle est femme. Elle est noire. Elle sera ministre. Si elle était lesbienne et handicapée, elle serait Premier ministre.' Je vais devoir faire avec." Les relations deviennent exécrables, et se soldent par le départ de Rama Yade, le 13 novembre 2010, lors de la formation du gouvernement Fillon III.
L'absence de poids politique
Et la politique là-dedans ? La secrétaire d'Etat aux droits de l'homme de Nicolas Sarkozy (2007-2009) s'aperçoit très vite des limites de sa fonction. Page 105 : "Juillet 2007. Tunisie. Voyage bref où je ne dis rien et où je ne rencontre pas les ONG. On me le reprochera férocement." Et en décembre 2007, à propos d'un voyage en Algérie, ce cri du coeur : "A quoi sert une secrétaire d’Etat aux droits de l’homme qui ne peut jamais en parler ?"
Nicolas Sarkozy en tire la conclusion logique. En 2009, il supprime le secrétariat d'Etat aux droits de l'homme et nomme Rama Yade secrétaire d'Etat aux Sports. Bon moyen de capter l'attention, note-t-elle immédiatement puisque (page 279) "les événements sportifs, il y en a tout le temps, partout".
Au-delà d'une certaine peinture de la sarkozye obsédée par l'image, le livre de Rama Yade vaut comme confession d'une ambitieuse du IIIe millénaire, aux multiples réseaux. Réseaux anciens comme celui du Siècle, auquel elle "appartient depuis 2007". Réseaux plus modernes comme ce club du XXIe siècle qui promeut la diversité (et dont la ministre de l'économie numérique, Fleur Pellerin, fut présidente de 2010 à 2012).
Le souci du "positionnement"
Sur les combats souvent honorables de l'ancienne ministre, contre l'homophobie par exemple, il n'y a rien à dire. Mais au-delà, quelles idées, quels projets politiques ?
Une anecdote paraît emblématique de sa démarche. Quand Rama Yade quitte le gouvernement Fillon, elle note sur un papier ce qu'elle a faire : "organiser un dîner d'au revoir..., annuler ses rendez-vous..", et "créer un think thank". Pour réfléchir à quoi ? Mystère. L'essentiel, c'est d"occuper un créneau : "J'appelle Séguéla pour lui demander ce qu'il pense du positionnement que j'aimerai lui donner." A propos de positionnement, Rama Yade a désormais rejoint l'UDI de Jean-Louis Borloo.
-> Carnets du pouvoir 2006-2013, Rama Yade (éditions du Moment, 22 euros)