Je me présente, je m'appelle Ursula. Je suis une dépression orageuse qui a parcouru la France début août des Pyrénées à la Franche-Comté. Certes, je suis moins dangereuse que ne l'étaient Katrina ou Hugo. Mais les orages, le vent, la grêle que j'ai provoqués m'ont valu d'être baptisée. Tout comme ma sœur, Bertha, qui a su souffler fort au même moment sur les îles britanniques et la Manche.
Qui a décidé de nous donner ces prénoms?
Vous trouverez plein de sources pour expliquer l'origine de cette pratique, toutes relayent un peu la même chose, sans certitude historique. On raconte que, fin XIXème siècle, un météorologiste australien, Clement WRAGGE, décida de donner aux cyclones de sa région le nom de personnalités politiques qu'il ne portait pas dans son cœur. Mythe ou réalité ? Qu'importe, cette manie se révéla utile car facile à mémoriser. Elle permettait au grand public de bien différencier les différentes tornades.
Selon le même principe, lors de la Seconde guerre mondiale, les météorologistes de l'American Air Force et de la Navy donnaient le nom de leurs épouses et petites amies aux cyclones. Sexisme ou preuve d’amour ? Ça permettait surtout de bien distinguer les différents cyclones. Si bien qu'en 1950, le National Weather Service a donné aux premiers cyclones d'Atlantique et des Caraïbes les noms de l'alphabet des transmissions en cours dans l'armée américaine. Les prénoms ABLE, BAKER, CHARLIE, DOG, EASY, FOX, GEORGE, HOW, ITEM, JIG, KING et LOVE furent ainsi utilisées pendant trois ans. Puis, en 1953, ils furent remplacées par des prénoms de femmes : ALICE, BARBARA, CAROL, DOLLY, EDNA. Cette pratique de donner des prénoms de femmes aux tempêtes se généralisa ensuite aux cyclones tropicaux du Pacifique.
En 1978, à cause des féministes, on alterna avec des prénoms masculins. Probablement lassées d'entendre les analogies douteuses des météorologistes misogynes qui s'amusaient à comparer tempêtes et comportement des femmes, imprévisibles, qui ne savent pas choisir, dévastatrices, les Womens' Lib ont réagi et imposé l'alternance. Désormais, ça sera une fois Hugo, une fois Katia.
Vous ne le savez peut-être pas, mais cette décision a sauvé des vies. C'est prouvé scientifiquement. Le Monde a publié un article très intéressant là-dessus : "Pourquoi les cyclones du genre féminin sont les plus meurtriers" Si vous n'avez pas envie de le lire, je vous le résume. Kiju Jung et Sharon Shavitt, deux chercheurs de l'université de l'Illinois, ont passé en revue 94 cyclones tropicaux qui se sont abattus entre 1950 et 2012 sur les Etats-Unis (à l'exception de Katrina (2005) et d'Audrey (1957) si hors normes qu'ils auraient faussé l'analyse). Ils ont choisi un indice de perception de la féminité des différents prénoms choisis (MFI : masculinity-feminity-index) et établi un classement du nombre de victimes en fonction de cet indice. Ils ont ensuite étendu leur étude aux ouragans du Pacifique et leur conclusion est implacable : les cyclones qui portent les prénoms qui sonnent le plus féminin sont les plus meurtriers. Pourquoi ? Tout simplement parce que "Victor" fait plus peur que "Victoria". Quand un habitant menacé entend qu'un Victor va sévir, il aura plus tendance à suivre les recommandations officielles que s'il s'agissait d'une Victoria. Il y aura plus de chance qu'il se mette à chercher un abri anticyclonique, à s'enfermer chez lui etc. De ce résultat, un historien des sciences, Robert Proctor (Stanford) conclut : "(s)i le résultat tient, nous avons là l'un des exemples les plus dramatiques montrant l'influence d'un simple mot sur la manière dont nous réagissons aux catastrophes, avec des conséquences mortelles." Nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à affirmer que si l'on avait introduit la parité dans le nom des cyclones dès 1950 un nombre de morts important aurait pu être évité.
Peut-être à tort, mais je me méfie des prétentions objectives de conclusions "d'études américaines" qui reposent sur des sondages, des perceptions et des probabilités. En plus, on l'a vu, Katarina et Audrey sont exclues. Etrange de vouloir retirer deux cas qu'on estime exceptionnels pour ne pas fausser une hypothèse. Je me souviens que mon professeur climatologue à Nanterre en géographie estimait que toute prévision météorologique à plus de trois jours relevait du tarot plutôt que de la science. A moins d'y concentrer tous les moyens sur un périmètre restreint, il est difficile de prévoir le temps à plus de trois jours. Pour notre histoire, donner des noms à des catastrophes naturelles reste pour moi plutôt un clin d'œil amusant et une pratique empirique recommandée. Mais quand ça prend le visage de l'expertise, je deviens sceptique. Cela me fait penser au sketch de Pierre Desproges qui simulait une expérience scientifique ainsi :
"Si nous asseyons côte à côte un employé de banque que nous appellerons A et un épagneul breton que nous appellerons Catherine - en hommage à Catherine de Médicis qui était pas mal velue elle aussi -, et si nous disons : "Haut les mains !", seul l'épagneul breton se casse la gueule. L'employé de banque, pour sa part, reste assis dans cette posture niaise qui est présentement la vôtre, et cela jusqu'à ce que... l'agresseur se tire avec la caisse..."
Pierre Desproges (Basse fosse)
Il faut mieux l'écouter que le lire, mais ce sketch me fait d'ailleurs penser au manque de délicatesse des maîtres qui affublent leur animal de compagnie d'un prénom connu. Vous êtes dans les bois avec votre dulcinée et soudain entendez "Laetitia ! LAETITIA ! Allez ! Viens ici ! Ouuuiiiii. C'est bieeen çaaa !"
Dans le cas des catastrophes naturelles, ça peut donner des situations sinistres. Tous les gens qui s'appellent "Hugo" ou "Sandy" vont résonner douloureusement aux oreilles des familles qui ont perdu des proches à cause des cyclones éponymes. D'ailleurs pour éviter de tels traumatismes, les prénoms des ouragans les plus meurtriers ont été souvent peu après remplacés. Par exemple, dans la liste 2004, "Matthew" a remplacé le nom "Mitch" . Mitch a tué plus de 18 000 personnes en Amérique centrale en 1998. Le traumatisme demeurera néanmoins. S'appeler Mitch doit sûrement passer pour une provocation en Amérique centrale.
Les Asiatiques préfèrent donner des noms de bêtes ou de fleurs. Ainsi, le typhon, qui a soufflé à plus de 270 km/h en juillet dernier, provoqué des vagues de plus de 14m et des coulées de boue qui ont ravagé des maisons se nomme Néoguri, qui signifie "raton laveur". Un petit nom mignon pour un monstre ravageur. Il a même un œil que vous pouvez voir sur cette vidéo. Je ne sais pas si le nombre de morts aurait été plus grand si on avait baptisé ce typhon "dragon" au lieu de "raton". De manière générale, quand vous entendez les mots "typhon", "cyclone", "ou tornade", il faut mieux filer doux, écouter les autorités locales., sans s'attarder au sobriquet.
Les Cyclones et typhons sont des stars filmés, projetées en boucle sur CNN et partagés sur Facebook. On en fait même des films : Deep impact, Black Storm ou Twister. Elles tuent, causent d'immenses dégâts matériels, et frappent les esprits pour des générations.
Mais les géographes le savent bien, les catastrophes naturelles les plus spectaculaires ne sont pas les plus meurtrières. Les phénomènes "naturels" (car de nombreux facteurs humains entrent aussi en compte) qui tuent le plus ne portent pas de nom et ne donnent rien en vidéo sur les réseaux sociaux. Trop longues à raconter, trop lentes à filmer. Seul El Nino (courant chaud d'origine péruvienne) a obtenu son nom tant il a fait de morts et tant il a craquelé la terre de façon spectaculaire. El Nino a affecté la vie de 72000 familles au Nicaragua. El Nino à part, les catastrophes naturelles caractérisées par un manque d'eau sur une longue période sont anonymes et portent un nom commun : sécheresse.