Samedi dernier, J'étais à bord du train Pont-L'évêque-Saint Lazare qui s'arrêta en plein champs au bout d'une demi-heure. Attente. Impatience. Une annonce du contrôleur nous explique que le train est bloqué "en raison d'un animal de grande ampleur". Tout le wagon s'est mis à imaginer Godzilla à cheval sur les rails prêt à défoncer la locomotive. En fait, c'était une vache. Et le speaker SNCF de terminer sa phrase avec le traditionnel "Désolé pour la "gène occasionnée".
Vous avez dû entendre cette formule maintes fois ces derniers jours avec les grèves. Au lieu de calmer, elle a tendance à énerver. Comme un serveur vocal qui vous sert : "Nous mettons tout en œuvre pour traiter votre demande dans les plus brefs délais", ces locutions automatiques dérangent car elles n'arrangent rien. Elles servent juste à faire patienter.
Et bien, j'ai revu ma position aujourd'hui au cours d'un "repas" au MacDo du Faubourg Poissonnières à Paris. Une adolescente à deux tables de moi beuglait toutes les cinq minutes : "Mais je m'en bats les couilles !" Ses copines, me voyant relever la tête, lui ont intimé de parler moins fort. La fille s'est alors levée vers moi en faisant une courbette et m'a déclamé : "Je vous prie, monsieur, de m'excuser pour la gène occasionnée !" Barre de rire de ses copines. Beau geste de sa part. Je n'en demandais pas tant.
Cette anecdote m'a fait prendre conscience de l'influence de la glose des speakers des transports publics sur notre langue. Certes, on dit rarement "ça m'a occasionné une gène" entre nous quand quelque chose nous dérange, mais tout le monde a mémorisé la formule.. On commence à la trouver sur des sites Internet. ("Le site est actuellement en maintenance, veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée."). Sur un forum dédié à Harry Potter, un internaute s'excuse pour son manque de clarté dans ces termes : "je sais je suis vraiment perdu ces temps ci je confonds tout...alors je suis désolé pour la confusion occasionnée." La formule sert à s'excuser en mettant les formes.
Au Moyen-Âge, occasionner signifiait chercher querelle, causer du tort. "Il serait possible que la faute qu'a faite la cour de Pétersbourg, en rapprochant le territoire prussien de ses possessions, occasionnât un jour des hostilités, [Raynal, Hist. phil. V, 22]" Extrait du Littré Cela pouvait aussi signifier accuser. Le comte de Flandres fut plus occasionné de cette chose [en fut plus accusé] que nul autre, [Chron. de St Denis, t. I, f° 269, dans LACURNE] Extrait du Littré
Occasionner était péjoratif. C'est probablement par ces origines qu'on occasionne rarement des bonnes nouvelles aujourd'hui.