LA CLASSE.
Riad Sattouf a la classe. Tandis que la sélection officielle des nominés au Grand Prix du Festival de Bande dessinée d'Angoulême vient d'être révélée et que la twittosphère féministe souligne depuis quelques heures que cette liste ne comporte aucune, strictement aucune illustratrice, l'auteur (génial) de l'Arabe du futur n'attend pas que quelque buzz l'y presse pour publier sur sa page Facebook un message, d'une élégance irréprochable, demandant à ce qu'on retire son nom de cette prestigieuse sélection et qu'on le remplace par celui d'une auteure de talent (il propose quelques noms, énumération non exhaustive).
Le texte est parfait. C'est bref, c'est clair, c'est courtois. Et c'est intègre. En cohérence absolue avec les engagements d'un artiste humaniste dont le trait fin et l'humour corrosif racontent mieux que personne ne sait le faire les ambiguïtés de l'intime comme les complexités du vaste monde. Mais ce n'est pas si fréquent d'aller jusque là. Jusqu'à renoncer aux honneurs au nom de ses valeurs.
Le mouvement est peut-être en marche cependant : à l'été 2014, le micro-biologiste de pointe multi-awardé Jonathan Eisen annonçait dans un billet de blog son intention de ne plus accepter aucune invitation à des colloques scientifiques si ses collègues féminines de rang équivalent n'y étaient pas également représentées.
Et maintenant? Maintenant, il est temps que les musicos s'y mettent aussi. Car regardez, juste là à gauche, à quoi ça ressemble une affiche de festival quand on ne garde que les noms d'artistes féminines.
Et puis le cinoche à son tour : à quand un grand réalisateur prêt à renoncer à son inscription dans la sélection officielle du Festival de Cannes qui jusqu'à ce jour n'a connu qu'une Palme d'Or attribuée à une femme (Jane Campion, pour La leçon de piano, il y a déjà 23 ans).
Et puis la littérature : moi, lorsque les militant.es de la Barbe sont venu.es faire remarquer aux juré.es du Prix Goncourt qu'en 102 ans, ils et elles n'ont consacré que 11 femmes, j'aurais trouvé super chic que le lauréat de l'année ait un mot de soutien pour leur action pleine d'humour savoureux... Car si le milieu littéraire ne sait pas apprécier l'ironie, alors qui?
Allez, les gars, s'engager pour l'égalité, c'est pas que poser avec une pancarte pour une campagne glam'-photoshopée de l'ONU, dont je tairais le nom parce que si je ne la trouve pas très utile, je n'ai rien vraiment contre non plus... C'est aussi prendre des actes, des actes forts. Comme de laisser sa place, oui, comme vient de le faire Riad Sattouf. C'est coûteux? Ca dépend comment on compte : selon que l'on regarde ce que l'on a déjà, ce que les autres ont ou n'ont pas, ce que l'on peut perdre, ce que l'intérêt général peut gagner. Ca peut rapporter? Oui, dans le cas précis, car je m'en vais commander une bonne palette d'exemplaires du dernier ouvrage de Riad Sattouf pour les offrir à la terre entière (enfin à mes ami.es, pour commencer). Mais je crois que de ça, Riad s'en fout. Parce que son geste, il ne le fait pas pour me plaire, pas pour que je lui fasse de la pub, pas pour que toutes les féministes lui disent "merci, tu es notre héros, chéri". Ce geste, il le fait, j'en suis sûre, parce que c'est sa vérité et sa conception du juste. Bref, respect.
Respect aussi aux femmes du Collectif des Créatrices de bande dessinée contre le sexisme qui a immédiatement réagi à l'annonce de la sélection d'Angoulême en annonçant que ses membres boycotteraient le Grand Prix en s'abstenant lors du vote. Parce que n'oublions pas, quand les hommes viennent faire leur part du combat pour l'égalité réelle, qu'avant eux et avec eux, des dizaines de milliers de femmes se battent incessamment au quotidien, et que c'est plus souvent des insultes que des "bravo" et des des "merci" qu'on leur adresse en retour. Et qu'il est assez rare qu'on leur reconnaisse, à elles, ce sens de l'humour qu'elles ont pourtant bien. Parce que rire et faire rire est le propre de la femme, aussi. Mais pour s'en apercevoir, il faut pouvoir seulement la voir.