Sexisme des politiques : arrêtons de parler d' "incidents"

vronique-massonneau

 

"Incident sexiste à l'Assemblée" ont titré Le Monde, Europe 1, Le Point, Metronews, "dérapage sexiste" ont préféré le JDD, le Parisien ou Ouest France pour qualifier la scène pitoyable de la séance de mardi soir à l'Assemblée lors de laquelle un député morbihannais a cru drôle (sinon pertinent, intelligent ou nécessaire) de caqueter comme une poule tandis que sa consoeur Véronique Massonneau contribuait au débat sur la réforme des retraites.

 

Des "incidents" à répétition...

700481Les "incidents" sexistes dans la vie politique, c'est pas comme si ça arrivait exceptionnellement.

Là tout de suite, sans même aller fouiller dans mes archives, je peux en citer de tête une flopée :

- Cécile Duflot qui se fait siffler à l'Assemblée, un jour où elle porte une robe d'été,

- la sénatrice Laurence Rossignol qui reçoit un "c'est qui, cette nana?" tandis qu'elle s'exprime sur la parité au cours d'un débat où l'on parle sans complexe de "potiches",

- Fleur Pellerin qui se fait traiter de "pot de fleurs" par un député qui déplore son absence lors d'une discussion sur la loi de finances rectificative,

- Laurence Dumont qui, remplaçant temporairement Claude Bartolone au perchoir, est huée par des parlementaires qui scandent un appel au retour du chef, du vrai!

528906-nvb- Najat Vallaud-Belkacem qui, tandis qu'elle est en train de répondre aux questions des parlementaires fait l'objet d'un tweet grivois de la part d'un député,

Sans parler de toutes les fois où Rachida Dati a été renvoyée, y compris par des membres de son propre camp, faire du shopping et où Edith Cresson a été comparée à une courtisane...

J'y ajoute, pour la couleur locale, la récente attaque, entre des centaines d'autres dans diverses communes, d'un élu de ma ville à l'endroit d'une autre élue qu'il supposait incapable de penser par elle-même et qualifia après un Conseil Municipal de "voix de son maître" (le "maître étant le leader - masculin, s'il faut le préciser - de son groupe).

Au parlement comme dans les collectivités, les "incidents" machistes, ça n'arrête pas!

"Incident" dans le dictionnaire

"Incidents", dites-vous?

Un "incident" si j'en crois la définition qu'en donne le Larousse (et d'autres dictionnaires), c'est un "fait de caractère secondaire, généralement fâcheux, qui survient au cours d'une action et peut en perturber le déroulement normal" ou un "événement sans importance excessive, mais qui peut entraîner des complications, des difficultés dans les relations internationales, sociales ou politiques."

Et un "dérapage", alors? Toujours selon le même dictionnaire, c'est "l'action de déraper, de s'écarter de ce qui est normal, attendu, contrôlable."

"L'incident", c'est super pratique... Ca renvoie au contexte et aux individus, jamais aux responsabilités collectives

 

Oh! Quand la saillie machiste survient dans les instances électives, on n'est pas fier fier, on tord la bouche, on met sa tête entre ses mains, on se déclare navré-e... Mais on se dit surtout "Ooooooh merde, encore un incident qui va foutre le bordel, comme si on avait que ça à faire".

Mais on parle d' "incident" et de rien d'autre. Un "incident", ça permet de renvoyer systématiquement le fait à son contexte : "Nan, mais c'est juste que le type, il sortait d'un dîner arrosé" (ce qu'on a pu la lire, cette "excuse" - comme si c'en était une - pour Le Ray, depuis deux jours), "Nan, mais attends, c'est pas méchant, c'est juste maladroit/potache/crétin/l'effet de la fatigue", "Nan, mais d'accord, c'est nul, mais faut pas s'arrêter à ça, c'est juste un incident."

Les "incidents", c'est pratique.

Pour la presse à qui ça file facile un petit sujet léger. Ca détendrait presque, entre deux papiers vraiment sérieux.

C'est pratique pour la classe politique surtout, que ça autorise à traiter le fait comme un regrettable contretemps de "l'ordre normal" des choses et à isoler le fauteur de troubles de la responsabilité collective. "Eh, le mec, c'est juste un cas, hein... Nous autres, on y est pour rien".

"Incidents" sexistes ou culture du pouvoir viril instituée?

Sauf que quand ça se répète aussi souvent, on est autorisé-e à soupçonner que ce ne sont pas des "incidents".

On est en droit de se demander dans quelle mesure ça ne ferait pas précisément partie de "l'ordre normal", culturel et institué, quoique dysfonctionnel, de la vie politique française*.

Dans quelle mesure ce ne serait pas la contrepartie logique d'un jeu qui ne connait qu'une règle : tous les coups sont permis.

Ce jeu-là est barbare qui regarde la conquête et l'exercice du pouvoir comme une lutte virile où le respect de la personne et la courtoisie sont de risibles accessoires de fillette. Où il est attendu de qui subit une attaque qu'il ou elle fasse démonstration de sa puissance au travers de la riposte. Où celui ou celle qui s'avouera déstabilisé-e ou intimidé-e par la basse estocade n'aura qu'à sortir de l'arène auréolé-e du piteux titre de faiblard-e aux épaules insuffisamment larges et au coeur mal accroché. Où il est considéré comme faisant partie de la force de caractère de l'élu-e de savoir ne pas s'arrêter à de telles broutilles qu'une insulte, même si elle est dirigée contre son identité même.

C'est à la classe politique dans sa totalité de réagir, c'est aussi aux citoyen-nes de ne pas donner leur "voix" aux soudards

gladiateursEst-ce vraiment ce que nous voulons?

Que notre débat politique s'apparente aux jeux du cirque? Que nos Assemblées soient des défouloirs où la potacherie (nom convivial donné à la grossièreté) s'érige en style? Que nos représentant-es soient de bonnes grosses brutes capables de taper fort et aptes à recevoir en retour les coups sans grimacer?

Ou bien, est-ce qu'on peut commencer enfin (tiens maintenant tout de suite, puisqu'on entre en année électorale) à exiger de nos élu-es qu'ils et elles jouent au minimum fair-play?

C'est à eux et elles, en tant que politiques, de donner des gages de leur volonté de faire autrement, de s'obliger au respect mutuel, à l'image du respect qu'ils nous doivent et de s'interdire donc de se traiter les un-es les autres avec une agressivité primaire.

C'est aussi à nous, en tant qu'électeurs et électrices de nous départir de nos visions d'une politique "musclée" et de nos attentes d' "hommes forts" pour régler les problèmes certes difficiles de notre époque. C'est à nous de ne plus réclamer des politiques qui "en ont", de la gueule et du reste.

Et de refuser de donner notre voix (quel sens a cette expression "donner sa voix" tout de même!) à des soudards qui nous font honte.

 

 

*Et pas seulement française, d'ailleurs, l'australienne Julia Gillard, entre autres, en témoigne.