FN : entre à peu près et appropriation

Stéphane Ravier, maire FN du 7e secteur de Marseille, lors de sa victoire aux sénatoriales, le 28 septembre 2014. (BERTRAND LANGLOIS / AFP)

L'affaire a été révélée par le quotidien La Marseillaise : le sénateur-maire du 7e secteur de Marseille, Stéphane Ravier, invite ses administrés à une fête de Noël le 6 décembre. Quoi de plus normal - cela se passe dans de nombreuses communes de France - sauf que dans cette partie de Marseille sous administration frontiste, une pièce d'identité sera demandée pour retirer son invitation. Evidemment, le Front de gauche et le PS sont montés au créneau parlant d'apartheid. Evidemment, le maire a répliqué, poussant une vindicte anti-socialiste, et précisant que "le carton indique une 'carte nationale d'identité' mais (...) une carte d'identité est forcément nationale, et nous n'excluons bien sûr aucune nationalité !"

Une horde de sans-papiers

Tempête dans un verre d'eau ? Rétro-pédalage de Stéphane Ravier ? Sans doute mais cette micro-affaire est révélatrice à plus d'un titre. D'abord prenons Stéphane Ravier aux mots, aux siens, dernièrement révélées suite à la polémique.  Une carte d'identité, un filtrage, soit. Mais est-ce que cela voudrait dire qu'une horde de sans papiers se tiendrait fin prête à débouler, qu'il faille protéger les honnêtes familles ? Ou que la délinquance est arrivée à un point tel qu'elle menacerait de chaos une innocente fête de l'enfance ? Pour le FN, Marseille serait donc à situer entre Bagdad et la Colombie de Pablo Escobar ?

Clin d'oeil

La seule lecture des commentaires de militants du F.N. sur les réseaux sociaux  donne du sens à cette affaire de carton d'invitation et de carte d'identité "De toute façon Noël est une fête chrétienne". Ou "Noël, c'est pour les Français !" Dans le monde ésotérique de l'électeur FN, les lois sur la nationalité, les fondements de la République,  tout n'est pas toujours clair et précis. On lui jette en pâture "carte d'identité" et pour lui, tout est limpide : il comprend "préférence nationale" et "non aux immigrés". Même si constitutionnellement, il est actuellement impossible de mettre en place une préférence nationale - d'où la marche arrière de Stéphane Ravier. Mais de cela, la majorité des électeurs ne veut pas le savoir, content d'avoir reçu un clin d'oeil complice du maire Front National. Au passage, ils oublient aussi que la France n'est  plus officiellement chrétienne depuis 1905 ; que les Français ne sont pas tous des chrétiens (la majorité d'entre eux sont d'ailleurs athées) ; que ceux qui sont encore considérés comme immigrés sont pour la plupart Français par le droit du sol (made in France depuis 1881). Et même, comble de la pensée progressiste, que le Père Noël n'a rien à voir avec le christianisme. Bref, on peut être français et musulman, vivre en France et être un juif espagnol et  même pour certains, à être à la fois arabe, français et chrétien (un maronite par exemple). Et que tout ce petit monde peut aimer les enfants, le Père Noël, le sapin et les cadeaux qui vont avec. La vie, c'est effectivement plus compliqué et Stéphane Ravier, avec sa carté d'identité, ne filtrera que quelques sans-papiers qui, de toute façon, ne se seraient pas déplacés. Bref, une fausse mesure basée sur de fausses réalités.

Avec tout ça, on aurait presque envie de réécouter les Négresses Vertes, un groupe bigarré prônant le métissage et le cosmopolitisme, ne serait-ce que dans leur nom et les origines diverses et variées de leurs membres.  Un vrai cauchemar pour les militants frontistes que ce groupe et cette chanson Ce pays.

Ce pays / notre pays

Déjà Les Négresses Vertes commencent mal, précisément par un crime de lèse-majesté nationaliste : leur chanson s'appelle "ce pays" et non notre pays. C'est peut-être un détail pour vous mais pour le militant frontiste, cela veut dire beaucoup, lui qui dit "mon pays"  comme on dit "ma famille" ou "mes enfants". Un amour absolu cachant mal une forme d'appropriation, pire une confiscation de la France et de ce qu'elle devrait être dans une vision étriquée et exclusive.

Tout le contraire prôné par les Négresses Vertes, justement, dans leur texte : "Ce pays qui n'est pas le mien est peut-être le votre / Est-ce qu'un pays appartient à l'un plutôt qu'à l'autre / Ce pays qui n'est pas le mien je regarde à sa porte / la clé m'appartient à moi comme à tout autre / Ce pays n'est pas le mien / sera-t-il un jour notre / le tien comme le mien et rien d'autre"

A méditer...