Hanouna ou le triomphe de la communication blanquerienne

La semaine dernière, dans l’émission spéciale « Grand débat » de Balance ton post !, présentée par Cyril Hanouna sur C8 avec la participation de la secrétaire d’état Marlène Schiappa, il a été assez peu question de l’école. Quand le sujet fut abordé, sous l’angle des classes surchargées, une scène a particulièrement frappé les enseignants. Voici l'extrait :

J’ai découvert la scène après coup, sur les réseaux sociaux où bruissait la réaction enseignante. J’ai souri, mais je ne devais pas être beau à voir.

Fact-checking

Un parent d’élève, s’il a écouté Hanouna, retient donc ceci : s’il y a 30 élèves dans la classe de son gamin, c’est parce que son prof a été augmenté de 1000€.

Devant une telle énormité, il faut absolument rétablir la vérité. AUCUN PROF N’A ÉTÉ AUGMENTE DE 1000€. Au contraire, ainsi qu’on l’a montré dans un précédent post, les profs ont vu leur pouvoir d’achat particulièrement attaqué depuis le début du quinquennat, alors même que le salaire des profs français est notoirement peu élevé. Gel du point d’indice, report du PPCR, non compensation totale de la hausse de la CSG, rétablissement du jour de carence, hausse prévue de la cotisation retraite se sont cumulés depuis 18 mois, les fonctionnaires ne sont pas à la fête et les profs encore moins, qui ont déjà vu leur pouvoir d’achat baisser de 6 à 8 % entre 2005 et 2017 quand il augmentait pour les profs presque partout ailleurs.

Par ailleurs, dans la pensée simpliste développée par Hanouna, « les classes surchargées sont la conséquence de la suppression de postes de professeur ». La réalité est autrement plus complexe. D’abord, les 1800 suppressions de postes cachent des disparités : dans le primaire, 1900 postes ont été créés au budget 2019, mais dans le secondaire, 2650 postes ont été supprimés. C’est donc, si l’on veut, la priorité accordée au primaire qui accentue la pénurie de profs dans le secondaire. Mais là encore il faut entrer dans la nuance : en réalité, tout le primaire n’est pas bénéficiaire de ces créations de postes, qui iront intégralement ou presque au dispositif phare du quinquennat, le dédoublement des classes de CP et CE1 en éducation prioritaire. Cette mesure est très lourde à financer en terme de postes d’enseignant : on estime que ces « classes à 12 » nécessitent 12 000 professeurs, des postes qu’il faut bien aller chercher parmi ceux déjà existants, à partir du moment où le gouvernement décide de ne pas créer de postes. Autrement dit, on déshabille ici Pierre pour habiller Paul, si quelques milliers de classes profiteront bien du dédoublement, rentrée après rentrée, c’est au détriment de dizaines de milliers d’autres qui voient leurs effectifs augmenter mécaniquement, notamment en maternelle. Par ailleurs les corps de remplaçants, le dispositif « Plus de maitres que de classes » et les RASED sont également largement ponctionnés pour financer les classes à 12 (lire ici le détail du "prix à payer" pour ces classes à 12).

On le voit, si les classes sont surchargées, c’est non seulement parce qu’on supprime des postes, mais aussi parce que le gouvernement fait des choix politiques qui ont des conséquences.

Mais en aucun cas, les suppressions de postes ne s’expliquent par l’augmentation des profs, puisque, on le répète, aucun d’eux n’a été augmenté de 1000€ ainsi que l’affirme Hanouna.

Comment expliquer, alors, une telle désinformation, un tel argumentaire et de tels chiffres, dans une émission qui se voulait pédagogique et qui a battu son record d’audience ce soir-là ? Par un savant cocktail d’ignorance, d’incompétence et de communication.

C’est si simple, l’école

La pensée à l’œuvre dans l’argumentaire d’Hanouna relève du sophisme : augmentation des profs => suppression de postes => classes surchargées. Simple, basique. L’affirmation d’Hanouna est passée comme une lettre à la balance ton poste, sans être discutée, et pour cause il n’y avait sur le plateau aucun contradicteur, aucun journaliste spécialisé. Si Hanouna avouera sur d’autres sujets qu’il n’y comprend rien et qu’il faut simplifier, ce n’est pas le cas pour l’école, alors même qu’il n’y comprend pas plus ni mieux. C’est un des drames de l’école : chacun croit comprendre, savoir, alors que les dossiers de l’EN sont très souvent complexes et techniques et demandent une pensée élaborée, nuancée, circonstanciée, bref une forme d’expertise et beaucoup de travail. Or, trop souvent et à l’exception de journalistes spécialisés (il faut les suivre, les écouter, les lire, ils sont passionnants !) qui sont malheureusement peu souvent à l’œuvre dans les émissions phare, les sujets de l’école sont généralement mal traités et bâclés, présentés par des ignorants qui n’ont pas suffisamment travaillé et manquent cruellement de compétences en la matière.

Avec Hanouna, on a bien évidement franchi un cap, il n’est pas journaliste (et ne prétend pas l’être, accordons-lui cette lucidité) et manifestement l’équipe de bras-cassés chargée de préparer l’émission n’est pas allée chercher trop loin non plus.

Le risque, quand on maitrise aussi peu les dossiers, c’est qu’on est très vite à la merci de la doxa, des préjugés et des idéologies et, évidemment, de la communication ministérielle et gouvernementale. Ça tombe bien, il y a rue de Grenelle un homme qui ne demande qu’à communiquer.

Éléments de langage

Pour comprendre d’où sortent les arguments et les chiffres d’Hanouna, il ne faut pas aller chercher bien loin : il suffit de se pencher sur les apparitions médiatiques de JM Blanquer et sur les éléments de langage répétés à l’envi par le ministre ces dernières semaines.

Les 1000 € que toucheraient les profs et qui expliqueraient les suppressions de postes ? Ce sont en réalité 1000€ annuels bruts que toucheront les enseignants débutants en 2020, ainsi que l’explique le communiqué gouvernemental où le ministre tire ses éléments de langage, à titre d’exemple à propos des accords PPCR passés sous Hollande, lequel avait créé près de 60 000 postes… A chaque apparition en janvier, à la radio ou à la télé, JM Blanquer a repris cet exemple des 1000€ pour preuve de la hausse du pouvoir d’achat des profs. A la fin, un esprit paresseux n’aura retenu qu’une augmentation de 1000€, sans plus de détails.

L’autre élément de langage martelé par le ministre a été l’argent débloqué pour les heures supplémentaires "accordées" aux profs : 250 millions, ça frappe les esprits, même si en réalité seuls 18 millions ont été budgétés en 2019 pour la deuxième heure supplémentaire obligatoire. Présentées là aussi comme une vraie mesure pour le pouvoir d’achat des profs, ces heures supplémentaires n’existent en réalité que pour masquer et combler les trous laissés par les suppressions de postes dans le secondaire (c’est pour ça qu’elles sont obligatoires). Il y a donc bien un lien entre argent allant aux profs et postes en moins, mais c’est dans le sens inverse de celui affirmé par Hanouna.

En mettant en avant à longueur d’interview ces 250 millions d’heures supp’, les 1000€, mais aussi la prime de 3000 € (en réalité, allant jusqu’à 3000€…) pour les profs travaillant en éducation prioritaire, le ministre a parfaitement atteint son objectif : montrer, non pas aux profs qui savent bien la réalité de leur fiche de paie, mais au grand public, au simple quidam qui ne connait pas les dossiers, que beaucoup d’argent va aux enseignants de ce pays.

Comme il semble par ailleurs ancré dans les esprits que tout se fait à budget constant (investir dans l’école ne vient plus à l’idée de grand monde…), tout cet argent consacré aux profs doit nécessairement  être prélevé sur de l’existant, notamment sur des postes qu’on supprime à cet effet, ce qui explique les classes surchargées. « C'est toujours un peu le problème, ce qu'on donne aux uns, on l'enlève aux autres », peut regretter Hanouna.

Voilà comment triomphe une com’ ministérielle construite sur quelques éléments de langage très clairs, très simples à retenir pour les esprits paresseux ou qui pensent que l’école, c’est simple à comprendre.

Cette semaine, le ministre a commencé une autre campagne de com’. Sur TF1 ce mercredi, il est venu dire à quel point ses fameuses classes à 12, celles-là même qui ont déshabillé Pierre, sont un succès : « Le résultat est très bon, les 60.000 élèves ont fait des progrès importants. On a réussi à monter le niveau de ceux qui sont dans la plus grande difficulté ». Sauf que les écarts annoncés sont de +8% à +13%, alors que les objectifs étaient de +20% à +30%. Le verre est à moitié plein ou à moitié vide, c’est selon, mais il est important de le présenter à ras-bord au grand public.

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