Quand les profs plébiscitent la pédagogie active sans la mettre en place

L'école du futur - Jean Marc Côté

Il y a quelques jours l’OCDE publiait une note intéressante intitulée « Convictions et pratiques pédagogiques » qui met l'accent sur un paradoxe qui n’est pas uniquement français : les enseignants plébiscitent globalement des principes de pédagogie active mais ceux qui les mettent en pratique sont minoritaires.

Désirs actifs, tendance passive

Les enseignants ayant participé à l’enquête Talis de l’OCDE adhèrent massivement « à une vision constructiviste de la pédagogie : ils perçoivent l’apprentissage comme un processus actif visant à favoriser une réflexion critique et autonome. » Ils sont 94% à estimer que leur rôle est d’aider les élèves à effectuer leurs propres recherches, 93 % qu’il est préférable de laisser les élèves réfléchir eux-mêmes à des solutions pour résoudre des problèmes pratiques avant de leur montrer la marche à suivre, 83% que les processus de réflexion et de raisonnement sont plus importants que le contenu spécifique du cours, et 82% à penser que les élèves apprennent mieux quand ils résolvent les problèmes eux-mêmes.

Mais dans leur pratique, les enseignants sont nettement moins nombreux à privilégier des voies d’enseignement actives et « déclarent avoir plus souvent recours à des pratiques pédagogiques passives » : à peine plus d’un quart d’entre eux fait travailler fréquemment les élèves à des projets leur prenant au mois une semaine, moins d’un enseignant sur deux fait régulièrement travailler les élèves en petits groupes pour trouver ensemble une solution à un problème ou un exercice (un peu plus d’un tiers en France).

Graphique 1

Les limites de l’étude

Cependant l’étude comporte des limites méthodologiques qui minorent sensiblement le crédit à lui accorder.

- l’édition 2013 de Talis, sur laquelle se fonde la note de l’OCDE, portait sur les enseignants du premier cycle du secondaire, c’est-à-dire uniquement sur le collège : les pratiques décrites ne concernent donc ni le lycée ni le primaire ; j’ai le sentiment, mais c'est subjectif, que les principes de pédagogie active (pédagogie de projet, travail en groupe) sont plus ancrés en primaire ;

- l’enquête a été menée dans 200 établissements répartis sur 30 pays au sein desquels 20 enseignants et le chef d’établissement ont été interrogés : dans chaque pays, donc, une centaine d’enseignants sur 6 ou 7 établissements au total ont participé à l’enquête, ce qui me parait un corpus un peu léger ! On entrevoit les biais potentiellement causés par ce manque de consistance et de représentativité statistique ;

- les items qui fondent la note de l’OCDE laissent perplexe ; côté « pédagogie active », seuls deux critères ont été retenus : « faire travailler fréquemment les élèves à des projets leur prenant au moins une semaine » et « recours fréquent au travail en petits groupes ». Même chose côté « pédagogie traditionnelle » : « corriger souvent des cahiers d’exercices ou les devoirs des élèves » et « présentation d’un résumé de ce qui vient d’être vu ». Tout ceci est très réducteur, je peux très bien mettre mes élèves en petits groupes sans qu'ils soient pour autant dans une position active, et je me vois mal faire l’impasse sur un résumé de ce qui a été vu, même après un travail sur projet.

Une fois ces bémols posés, ce qui intéresse dans la note de l’OCDE, c’est qu’elle traduit bien le sentiment qu’on a, sur le terrain.

Je suis l’enseignant décrit

Je dois être honnête, je me suis senti particulièrement visé par l’étude ! Je suis la preuve vivante du paradoxe décrit, le prototype de l’enseignant dépeint : je suis convaincu qu’un élève apprendra beaucoup mieux s’il comprend par lui-même et a donc été placé dans une situation où il s’appropriera, guidé par le maitre, le savoir. Pourtant je ne place pas si souvent que ça mes élèves dans ce type de situations. Et en plus, j’en ai conscience – et cette conscience tend à griser quelque peu l’image que j’ai de mon enseignement.

Alors, si je suis convaincu du bienfondé des principes actifs, pourquoi diable ne les mets-je pas en place ?

Il y a toujours, entre la théorie et la pratique, un écart, et on ne peut jouer que sur l’épaisseur de cet écart, non sur sa nature. Je sais bien, diable, que crier sur mes enfants n’est pas une bonne chose, mais bon voilà, parfois je n’arrive pas à m’en empêcher (papa vous aime, mes chéris). Je sais bien qu’il ne faut pas accélérer au feu orange, ça ne m’empêche pas de le faire trop souvent (ici la sanction arrive vite, vive le permis à points).

Et puis dans ma classe, j’ai toujours l’impression de courir après le temps, la faute répétons-le une fois encore à des programmes conçus pour 27 heures hebdomadaires alors qu’on n’en a plus que 24. Or les pédagogies actives sont chronophages, et elles demandent un type d’investissement et une créativité dont je ne suis pas toujours capable.

Bon, j’arrête là l’auto-flagellation, je fais des choses bien, aussi, dans ma classe, non mais.

S’interroger sur sa (ses) pratique(s)

Plus sérieusement, l’OCDE met en avant deux facteurs associés à une utilisation fréquente de méthodes pédagogiques actives :

- le climat positif dans la classe et des effectifs plus importants de bons élèves ; « à l’inverse, les enseignants indiquant avoir des classes présentant un fort pourcentage d’élèves ayant des problèmes de comportement ou des besoins spécifiques d’éducation tendent à faire un usage moins fréquent de ces pratiques. »

- les enseignants les plus susceptibles de mettre en place des pédagogies actives sont ceux « qui ont pris part à des activités de recherche individuelle ou en groupe sur un sujet en rapport avec leur profession, ou qui sont membres d’un réseau professionnel d’enseignants » ; de même, le tutorat, l’observation collégiale et la collaboration entre enseignants sont des facteurs encourageant l’adoption de pratiques pédagogiques actives.

Ce dernier point est important, parce qu’il redit que c’est difficile d’être seul, or le prof est fondamentalement seul, et que le salut vient de la collaboration entre enseignants ; mais également parce qu’il montre la voie aux politiques publiques, en donnant clairement la marche à suivre, à savoir une formation continue digne de ce nom favorisant les échanges de pratique, l’observation sur le terrain et la mise en commun de ce qui fonctionne – tout ce que la formation continue des enseignants de ce pays, moribonde, n’est pas.

Formation continue, mais aussi formation initiale. On ne nous forme finalement que très peu aux pédagogies actives, avant d’entrer dans le métier (et je n’ai pas l’impression que les ESPE aient rectifié le tir), or on a tendance à enseigner « comme on a été enseigné » et donc à reproduire des schémas relativement traditionnels, partant également de l’idée que ce qui nous a réussi (n’oublions jamais que les profs sont pour la plupart d’anciens bons élèves) finira bien par marcher avec nos élèves à nous. Il faut ajouter à cela l’atmosphère de « vieux pot meilleure soupe » actuellement en cours dans le pays (partout : chez les parents, les profs, et bien sûr ceux qui ne connaissent rien à l’école), qui n’encourage pas franchement l'initiative et la créativité.

Parallèlement, presque symétriquement, on comprend le regain d’intérêt pour les pédagogies actives type Freinet, Montessori, etc. (trop souvent mises dans le même sac alors qu’elles fonctionnent très différemment et reposent sur des philosophies parfois éloignées les unes des autres). Il n’est pas question d’ouvrir le débat ici sur les pédagogies dites alternatives, on se contentera de renvoyer à cette remarque de l’OCDE : « Il est peu probable que le recours à un seul type de pratiques pédagogiques soit l’approche la plus bénéfique pour l’apprentissage (…). Les méthodes pédagogiques actives et celles plus traditionnelles devraient au contraire être combinées pour trouver un juste équilibre ».

Ce mot de J.-J. Rousseau me revient : « Donnez le désir d’apprendre et toute méthode sera bonne ». Voilà qui a le mérite de recentrer le débat sur l’essentiel.

 

Nota : en guise de prolongement, je vous propose deux papiers très intéressants : le premier développe l'idée d'une co-présence des pédagogies actives et traditionnelles ("la configuration et la salade"), le deuxième décrit la méthode d'une instit dans les Vosges, fondée sur la répétition ("l'école des savoirs essentiels", mettez en mode lecture zen pour accéder sans abonnement).

Suivez l'instit'humeurs sur Facebook (où l'on retrouve de nombreux commentaires sur ce billet et bien d'autres choses), sur twitter @LucienMarboeuf, et n'hésitez pas à lire ceci, si ce n'est pas déjà fait !