On se souvient de la phrase de Nicolas Sarkozy qui en octobre 2007 avait comparé les magistrats à des "petits pois" se caractérisant par leur "même couleur, même gabarit, même absence de saveur". Lors de l'audience solennelle de la cour de cassation en janvier 2008, plusieurs magistrats avaient obstenciblement portés une cravate à petits pois, chère à Gilbert Bécaud.
Les dernières semaines de Rachida Dati à la Chancellerie ont été marqué par de nouvelles tensions entre elle et les magistrats à propos de la mutation forcée de certains d'entre eux. Dernier exemple: Marc Robert, procureur général devant la cour d'appel de Riom, qui avait soutenu l'accusation à Bordeaux contre Maurice Papon, a été muté contre son gré à la cour de cassation. Le décret de cette nomination "surprise" a été publié mercredi au Journal Officiel, soit avant la passation de pouvoirs entre R Dati et Michèle Alliot-Marie.
Pour les syndicats de magistrats, c'est une mutation au forceps. Le cas de Marc Robert était à l'ordre du jour de la réunion du CSM le 4 juin dernier afin que celui ci donne un avis que le Ministre de la Justice est ensuite libre ou pas de suivre. Mais pour les syndicats, cet avis est obligatoire. Et l'on sait combien les magistrats sont pointilleux sur le respect de la procédure. Or le 4 juin dernier, le cas Robert a été retiré de l'ordre du jour par Rachida Dati, au grand mécontentement de Patrick Ouart, le conseiller justice à l'Elysée.
Hier en fin de journée, les trois membres du CSM affiliés aux deux principaux syndicats de magistrats ont claqué la porte du Conseil. Ils ne veulent pas cautionner une mutation qui s'est faite dans leur dos. Ils ont demandé à voir le procès verbal du de cette réunion du 4 juin. Une demande restée, pour l'instant, lettre morte. Et pour cause.
Il y a un peu plus d'un an, une autre mutation forcée avait blessé le corps judiciaire. Bernard Blais, alors procureur général d'Agen, était prié lui aussi de rejoindre malgré lui la cour de cassation. Une mutation que l'intéréssé jugeait "humiliante" et " brutale" dans la mesure où non seulement le CSM s'y était opposé et surtout qu'elle intervenait à 6 mois de sa retraite. Son recours devant le conseil d'Etat a été rejeté. M. Blais a depuis quitté la magistrature.
Autres mutations qui font grincer des dents. Celles qui touchent les assises de Paris et que nous avons déjà évoqué ici. Le Premier Président de la cour d'appel a décidé une réorganisation de sa juridiction. Là encore Rachida Dati a voulu dire son mot. Le 18 juin dernier, alors que la grogne monte au palais à Paris, elle a publié un communiqué pour se féliciter de cette "réorganisation qui vient accompagner la réforme de la carte judiciaire"
Effet le plus spectaculaire de cette réorganaisation, le départ forcé de plusieurs présidents de la cour d'assises sous prétexte qu'ils ont fait leur temps. Tant pis si ce sont les meilleurs. Alain Verleene, Didier Wacogne ont été les premiers touchés par ces mises à l'écart. C'est au tour désormais de Dominique Coujard, salué unanimement par tous les avocats pénalistes et qui a présidé le premier procès Colonna, avec une maîtrise que tout le monde à louer, y compris les avocats du condamné. Dernièrement, sa hiérachie l'a prié de libérer sa place en lui demandant ce qu'il désirait faire à l'avenir. "Je leur ai répondu que je voulais présider les assises" me confiait-il récemment. On lui propose un poste d'assesseur dans une chambre d'appel.
Bref, les magistrats déjà éprouvés par des réformes à répétition sont à cran. Michèle Alliot-Marie le sait. En succédant à Rachida Dati, la nouvelle garde des Sceaux arrive dans un champ de mines.