C'est à la fois un coup de théâtre et un évènement prévisible. Au second jour du procès en appel devant la cour d'assises de Créteil du Docteur Krombach, André Bamberski s'est séparé de ses deux avocats. Maître Laurent de Caunes et Maître François Gibault, qui le suivaient depuis de nombreuses années, ont été invités à quitter le prétoire. Leur client ne veut plus de robe noire à ses côtés. André Bamberski est le père de Kalinka. Cette dernière est décédée dans des circonstances troublantes le 10 juillet 1982 au domicile de son beau-père à Landau, près du lac de Constance en Allemagne. Le père de la jeune fille accuse le Dr Krombach d'être à l'origine de ce décès.
Pendant les vacances, Kalinka, âgée de 14 ans avait rejoint sa mère qui a refait sa vie avec le médecin allemand. Depuis trente ans, le Dr Krombach clame son innocence. Hier encore, il qualifiait de "pure imagination" les accusations portées contre lui. Lors du premier procès, il a été condamné à quinze ans de réclusion criminelle. Il a fait appel de cette condamnation.
Pour avoir rencontré longuement André Bamberski chez lui, dans sa maison près de Toulouse, à la veille du premier procès, je peux attester de l'investissement que ce père a consacré à ce dossier. Qui ne réagirait pas ainsi après la mort de sa fille ?
Le combat de cet homme est triple. Âgé aujourd'hui de 75 ans, il s'est d'abord battu pour que ce médecin, âgé de 77 ans, comparaisse devant ses juges. Il faut se rappeler qu'il revendique l'enlèvement en Allemagne de ce dernier. En octobre 2009, le Dr Krombach, enlevé par deux hommes de main, avait été retrouvé au petit matin attaché à des grilles en centre ville de Mulhouse. Mr Bamberski devra un jour répondre de cet acte. Il le sait et l'admet.
Combat aussi contre la justice qui a plutôt traîné des pieds dans cette procédure franco-allemande.
Combat enfin personnel contre son ex-épouse, qui jusqu'à présent a apporté son soutien à l'accusé.
Mais au fil des années, André Bamberski s'est mue en excellent connaisseur du dossier. Généralement dans un procès, un parent, partie civile, se repose sur ses avocats pour défendre le dossier et ses intérêts. André Bamberski est le seul père de famille que j'ai vu arriver en audience avec son volumineux dossier. Comme un avocat en civil. Durant les débats, il consulte les PV, les côtes du dossier. Il tire par la manche ses avocats pour leur souffler une question, ou rectifier une erreur dans la déposition de l'accusé ou d'un témoin. Aux suspensions d'audience, il se dirige vers les caméras sans appréhension. Mais au lieu de se livrer à un sentiment personnel, il dissèque l'audience comme aucun avocat ne se hasarderait à le faire. Il connaît par cœur toutes les étapes de la procédure. Il est capable de vous citer des extraits de courriers reçus ou envoyés il y a plusieurs années.
Il est devenu malgré lui une encyclopédie de cette affaire. De son affaire. Bref, il est totalement hanté, habité par son histoire. Un investissement qu'il faut aussi comprendre comme une formidable déclaration d'amour posthume à sa fille.
En le suivant lors du premier procès, je me suis interrogé sur son devenir après la clôture de la procédure. Arrivera-t-il à trouver une certaine sérénité? Le combat de ce père inconsolable ne peut être que respecté et salué. Nous voudrions seulement qu'il se protège.
Désormais, André Bamberski se retrouve seul face à son ennemi de trente ans. Ses avocats ne sont plus là pour le protéger. Procéduralement parlant, cela n'empêche pas la poursuite du procès. Mais pourra-t-il tenir seul ? Seul dans son face-à-face avec l'accusé. En souhaitant qu'il laisse un peu de place au représentant de l'accusation.