C’est probablement un cas de figure dans notre justice qui ne s’est jamais produit. Un dossier, et pas des moindres, est actuellement entre les mains de différents magistrats dans deux juridictions éloignées de quelques kilomètres seulement.
Le dossier Médiator, incarné par le fondateur du groupe pharmaceutique Jacques Servier, fait l’objet de deux procédures distinctes. L’une à Nanterre. Il s’agit d’une citation directe lancée à l’initiative de plusieurs malades. L’autre à Paris. Il s’agit dune instruction qui vise à la fois l’aspect sanitaire et l’aspect financier de l’affaire.
Elles sont distinctes et à la fois semblables. Elle vise les mêmes personnes et les mêmes faits.
Procéduralement, la première a un avantage. Elle est plus rapide. Elle a d’ailleurs été choisie par certains avocats plaignants pour cette raison là, eu égard à l’âge avancé du principal personnage visé. La seconde, en revanche, a le mérite d’être plus complet. C’est la force d’un dossier instruit par un magistrat avec toutes les investigations nécessaires à la manifestation de la vérité.
Jacques Servier, 88 ans, était vendredi après midi dans le cabinet d’un juge parisien pour être entendu sur le fond du dossier.
Absent à l’audience ce matin devant le tribunal correctionnel de Nanterre, il était au centre des débats. Pas sur le fond proprement dit mais sur la date et les conditions de son procès à venir.
Les parties civiles réunies ce matin à Nanterre n’ont pas la même approche. Ceux qui, comme M° Honnorat et M° Verdier, représentent les victimes supposées du médicament militent pour un procès rapide, considérant que le dossier est en état. Ceux qui comme M° Holleaux et M° Maisonneuve représentent des organismes de santé, comme la caisse d’assurance maladie ou la Mutualité Française, préconisent qu’il est préférable d’attendre la suite de l’instruction parisienne tant le dossier de Nanterre est insuffisant. Ces derniers mettent le tribunal en garde contre le risque de juger à Nanterre qu’une « fraction de ce qui s’est passé dans l’affaire du Médiator ». « On ne peut pas se permettre un débat escamoté » a ainsi souligné M° Holleaux.
Ainsi ces deux derniers avocats adoptent une position qui est proche de celle de M° Hervé Temime, conseil de Jacques Servier, qui considère que cette « double poursuite contre son client est inacceptable ». Bien que se défendant de vouloir faire reculer l’échéance de ce procès, M° Hervé Temime ne cache pas son désir de redéposer des conclusions tendant à l’incompétence du tribunal correctionnel de Nanterre.
Il faut bien admettre que la justice semble piéger dans cette affaire. La cour de cassation saisit par deux fois de cette problématique à deux têtes n’est pas parvenue à la trancher. Pour une raison simple, c’est qu’elle n’a aujourd’hui aucune possibilité de faire de ces deux procédures une seule.
A cela s'ajoute une interrogation. Servier jugé pour "tromperie aggravée" à Nanterre pourra-t-il l'être à nouveau à Paris au nom de la règle de droit qui veut qu'on n'est jamais jugé deux fois pour les mêmes faits.
Jean Michel Hayat, le président du TGI de Nanterre, qui remplace provisoirement Isabelle Prévost-Desprez à la tête de la 15ème chambre correctionnelle dans ce dossier, a ce matin confirmé les dates du procès pour citation directe. Du 14 mai au 6 juillet. Pendant le temps de ces audiences, les juges parisiens continueront d’instruire leur dossier « Servier ». Et les avocats qui sont dans ces deux procédures ne pourront pas évoquer à Nanterre ce qu’ils savent du dossier de Paris.