On ne sait pas s'il faut s'en réjouir ou s'en attrister. On ne sait pas si c'est le signe d'une bonne démocratie ou celui d'un pourrissement de nos institutions.
Trois juges font la "une" de l'actualité judiciaire. Non pas pour leur fait d'armes mais plutôt leurs méfaits, supposés. Certes, il ne faut pas faire d'amalgame et des comparaisons trop réductrices. Mais ce télescopage de comparutions, de mises en accusation est somme tout assez troublant.
C'est d'abord le procureur Philippe Courroye qui est convoqué par une juge parisienne. Sylvia Zimmerman, déjà en charge de la catastrophe du vol Rio-Paris, lui a notifié par courrier de son intention de le mettre en examen dans le dossier dit des "fadettes", un des volets de l'affaire Bettencourt. Dans cette instruction qui met en cause les autorités politiques, policières et judiciaires, la juge, dont on connait le sérieux et l'indépendance, montre qu'elle ira jusqu'au bout dans ses investigations.
Résultat, Philippe Courroye, dont le nom avait circulé pour occuper le poste de procureur de la république de Paris, voit toute idée de promotion hiérarchique stoppée. Pour la Chancellerie, il ne s'agit plus de lui trouver un poste mais plutôt un point de chute.
Nanterre toujours avec son ex-collègue du pôle financier, Isabelle Prévost-Desprez. Entendue la semaine dernière par les juges de Bordeaux, désormais chargés des dossiers Bettencourt, la présidente de la 15 ème chambre correctionnelle de Nanterre est convoquée vendredi matin par sa hiérarchie. Comme nous l'avions évoqué ici même, Michel Mercier, le garde des Sceaux ne souhaitant pas être à l'origine d'une telle procédure, c'est au président de la cour d'appel de Versailles de décider des poursuites disciplinaires à engager contre la magistrate après ses propos dans le livre "Sarko m'a tuer". Si Alain Nuée décide de saisir le CSM, Isabelle Prévost-Desprez pourra-t-elle sereinement continuer à présider des audiences correctionnelles? Gardera-t-elle le dossier Médiator qui pourrait être jugé en mai prochain à Nanterre? Lundi, lors d'une audience de procédure, c'est le président du TGI, Jean-Michel Hayat, qui l'avait remplacé pour diriger les débats.
Troisième et dernier magistrat montré du doigt par un de ses collègues: Jean-Louis Bruguière. Ce dernier est parti à la retraite. Mais c'est son successeur à la section antiterroriste du palais de justice de Paris, Marc Trévidic, qui le met indirectement en cause pour son instruction de l'attentat de Karachi le 8 mai 2002. Au centre de ce bras de fer, un rapport de médecine légal concernant le kamikase présumé. Un rapport que Marc Trévidic n'a jamais trouvé dans son dossier d'instruction. "Je ne l'ai jamais eu" avait déclaré M. Bruguière interrogé par le juge Trévidic en mai dernier. Une version démentie par les experts médicaux et la DST. Or, il se trouve que les constatations des experts contredisent la thèse soutenue par le juge Bruguière.
Un procureur devenu simple prévenu dans le bureau d'un juge. Une juge convoquée par son chef de juridiction pour des motifs disciplinaires. Un juge d'instruction qui remet à sa place son prédecesseur. Une justice qui lave son linge sale en famille.