En référence à une statue dont un modèle se trouve dans les couloirs du palais de justice de Paris, on dit souvent que la justice est aveugle. Hier, elle était muette. Une seconde partie du réquisitoire sans le son.
Une salle comble où comme tous les jours, les proches d’Yvan Colonna et les amis de la famille Erignac avaient pris place afin d’entendre la voix de l’accusation. Tous, comme les journalistes, les avocats étaient pris d’une curieuse manie. Mettre les mains derrière les oreilles pour tenter de comprendre, de saisir un mot de ce monologue interminable. Peine perdue, malgré les signes adressés à la cour d’assises pour tenter de remédier à cet état de fait, il a fallu se faire une raison. Pendant deux heures, le parquet général est remonté au temps du cinéma muet.
Le matin, l’accusation était représentée par Alexandre Plantevin. L’avocat général a évoqué le parcours du militant Colonna, fermé les portes à tous les arguments que la défense va développer lors de ses plaidoiries, reconnu très adroitement que si des « erreurs, des fautes, des maladresses des errements ont été commis dans la procédure » cela ne serait remettre en cause la solidité des mises en cause des membres du commando et de leurs épouses.
A la suspension d’audience tous les avocats, y compris ceux d’Yvan Colonna, ont reconnu qu’Alexandre Plantevin avait fait du bon travail, digne d’un magistrat de l’accusation. On pouvait s’attendre que sa collègue, Annie Grenier, plus haut dans la hiérarchie et à qui revenait la tache de prononcer le quantum de la peine, se situe au moins au même niveau d’efficacité.
Nous avons eu l’image, pas le son.
Comment dans un procès d’une telle nature, à l’enjeu si important, le troisième contre Yvan Colonna, le cinquième dans le dossier Erignac, le parquet général de Paris ose présenter en audience publique un tel naufrage ? Pourquoi, dans des salles d’audience, certes mal équipées sur le plan de la sonorisation, les avocats et les magistrats du siège arrivent toujours à se faire entendre, alors que les avocats généraux sont souvent inaudibles. Le même constat avait été fait durant le réquisitoire de l’affaire Clearstream.
Faut-il parler d’une accusation du bout des lèvres ?
Mais là ne s’arrête pas notre agacement. Durant deux heures, Annie Grenier s’est contentée de reprendre les pièces de la procédure. Comme si le procès n’avait pas eu lieu. Pas un mot sur le transport de justice du 6 juin, pas un mot sur la vrai fausse lettre de menace d’Y Colonna à Pierre Alessandri.
Après ces deux heures où la voix de l’avocate générale ne fût qu’un bruit de fonds, tout le monde est sortie de cette audience atterrée. Pour la première fois, des avocats de la défense se sont déclarés dans l’impossibilité de commenter un réquisitoire qu’il n’avait pas entendu.
Espérons que la cour à qui ces réquisitions étaient destinées n’a pas été dans le même brouillard que nous.
Mais dans un procès, si l’accusé est en droit de savoir pourquoi il a été condamné ou acquitté, il est aussi en droit d’entendre les charges qui pèsent contre lui.